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mercredi 10 février 2010

"France Télévisions, conflits et intérêts" (lisez l'article paru dans Le monde du 11/02/10)

"France Télévisions, conflits et intérêts"

"Depuis des mois, chaque fois qu'on évoque devant lui Patrice Duhamel et Patrick de Carolis, les patrons de France Télévisions, Nicolas Sarkozy lève les yeux au ciel : "Je ne peux plus les supporter !" Il n'est pas certain que la polémique suscitée par la vente de France Télévisions Publicité (FTP), la régie publicitaire de la télévision publique, améliore leurs relations.

La guerre sourde que se livrent plusieurs amis du président pour prendre le contrôle de l'un des joyaux de France Télévisions et l'inquiétude que cette vente suscite parmi les grandes agences de publicité ont fini par semer le doute dans le milieu politique. Et par inquiéter un Elysée qui craint la remise en cause de l'une de ses mesures phares : la suppression totale des écrans publicitaires sur le réseau public.

France Télévisions Publicité a longtemps été une belle source de revenus de France Télévisions, avec un chiffre d'affaires tournant autour de 840 millions d'euros avant l'annonce de la suppression de la publicité. Ses équipes ont la réputation d'être performantes et des télévisions du monde entier cherchent à copier son logiciel, qui permet de gérer l'achat et la vente d'espaces publicitaires automatiquement.

Son patron, Philippe Santini, un ancien d'Havas, âgé de 59 ans, dirige la régie comme une entreprise florissante et vit lui-même sur un grand pied, 500.000 euros les bonnes années. Riad à Rabat, maison dans le Luberon, voiture de fonction allemande avec chauffeur. Chaque année, les annonceurs se pressent pour le voir, à Méribel, où il reçoit pendant dix jours dans un Relais et Châteaux.

La privatisation de la régie est sa grande idée. Il en parlait déjà au prédécesseur de Patrick de Carolis, quand il paraissait fou que l'Etat privatise sa seule source de revenus. Le 8 janvier 2008, la décision de Nicolas Sarkozy de supprimer la publicité sur les chaînes publiques a été comme un coup de massue pour ses équipes. Lui a compris que, pour éviter l'hémorragie parmi ses commerciaux, il doit chercher avec soin le meilleur repreneur.

Au mois de mai 2009, la Banque Rothschild, mandatée par France Télévisions, fait le tour des investisseurs potentiels, en proposant la vente de 70 % de FTP, l'Etat gardant les 30 % restants. Elle en distingue vingt-sept, seize se disent intéressés, mais seuls sept candidats se déclarent à la fin du mois de juillet.

A l'automne, après les premières discussions approfondies, ils ne sont déjà plus que quatre. La rentabilité de la régie est devenue aléatoire, après l'arrêt total de la publicité sur les chaînes publiques, fin 2011. Et le dossier est trop politique pour ne pas présenter de risques.

Le groupe Lagardère, qui dispose d'une régie adossée à son groupe médias, devrait être un candidat majeur. Mais sa candidature suscite de gros débats internes entre son directeur financier, Dominique d'Hinnin - surnommé "Dit non" tant il douche les enthousiasmes coûteux -, opposé à cet investissement risqué, et Constance Benqué, présidente de Lagardère Publicité, soutenue par le patron de Lagardère Active, Didier Quillot. Dans sa première offre, le groupe propose un rachat de la régie pour 1 euro symbolique, ce qui révulse les personnels de FTP et est inacceptable pour la Commission de privatisation. Depuis, il n'est pas parvenu à rattraper sa bévue.

L'autre investisseur venu de la presse est Alain Weill, patron de Next Radio TV. Lui aussi dispose d'une régie adossée à son groupe de médias (RMC, BFM radio et BFM TV, La Tribune). Son projet industriel est malin (il propose un rapprochement de FTP avec la régie de Next), mais son prix reste inférieur de près de 30 % à celui des deux derniers candidats : Hi-Media (une régie spécialisée sur le Web, dirigée par Cyril Zimmermann) et Lov Group Investment (LGI), de Stéphane Courbit. Ces deux-là paraissent tenir la corde.

Stéphane Courbit, 44 ans, n'est pas inconnu à France Télévisions. Sous ses allures de grand jeune homme un peu gauche, il est l'un des plus riches producteurs du paysage audiovisuel français (PAF). Fils d'une postière de Crest, dans la Drôme, il a débuté comme stagiaire auprès de l'animateur Christophe Dechavanne, avant de monter sa propre société de production, puis, à force d'ingéniosité, de devenir président d'Endemol France. Il en est parti avec plusieurs centaines de millions d'euros. Depuis, il investit aussi bien dans la télévision, l'énergie, ou même l'hôtellerie, en proposant à chaque fois une petite part du capital aux salariés. Sa réputation de jeune loup a longtemps eu une faille : il n'est pas un produit classique de l'establishment. Mais il s'attache depuis longtemps à le pénétrer.
A ses débuts, il a connu le journaliste Charles Villeneuve. C'est en évoquant avec lui, en 1999, son idée de vendre les programmes d'Endemol à une chaîne de télévision ivoirienne que ce dernier l'a envoyé voir l'ancien ministre de la coopération, Michel Roussin. Par le jeu de dominos propre aux relations de pouvoir, ce dernier lui a présenté son employeur de l'époque, Vincent Bolloré. Et Vincent Bolloré l'a envoyé vers Alain Minc avec une recommandation : "Ce petit jeune a du talent, tu devrais jouer pour lui les Pygmalion.

"Alain Minc est, d'une certaine façon, l'antithèse de Stéphane Courbit. Pur produit de l'élite française, ce conseiller des puissants est introduit jusqu'au coeur de l'Elysée. De Courbit, il a tout de suite pensé "c'est un petit Pinault" - il a le même profil d'autodidacte que l'industriel François Pinault. Minc présentera à Courbit Bernard Arnault et la famille Agnelli et, dans le milieu politique, Nicolas Sarkozy, dont le jeune patron fêtera l'élection présidentielle, au Fouquet's. Courbit donne à Minc, en échange de ses conseils et de son introduction au coeur du capitalisme européen, 3 % du capital de l'une de ses sociétés, Financière Lov. Lov comme les initiales de ses trois enfants : Lila, Oscar et Vanille.

Pour le rachat de la régie de France Télévisions, Stéphane Courbit et Alain Minc ont tout de suite compris que la partie sera difficile. Minc est celui-là même qui a soufflé à Nicolas Sarkozy l'idée de supprimer la publicité sur les chaînes publiques. A la fois juge et partie, il ne doit pas apparaître dans cette affaire. Courbit, de son côté, fournit des programmes à la télévision publique, essentiellement en produisant les émissions de variétés présentées par Nagui. Il n'a, par ailleurs, aucune expérience dans la publicité, et son passé à Endemol, la société qui a introduit la télé-réalité en France, reste sulfureux pour le service public. "Nous ne sommes ni crédibles ni compétents", analyse Courbit. Il lui faut trouver un associé susceptible de lui apporter savoir-faire et respectabilité.
Dès le mois d'octobre 2009, le voici dans le bureau de Maurice Lévy. Le PDG de Publicis Groupe est un magnat de la publicité. Une sorte de caïman du milieu, influent et respecté. "Donnez-moi 48 heures", propose d'abord Lévy par politesse, déjà certain de dire non. Mais, à y regarder de plus près, la proposition est tentante. Le rachat de FTP ne serait qu'une goutte d'eau dans les investissements de Publicis, mais permettrait de renforcer le développement des régies publicitaires dans l'Internet, dont Maurice Lévy, âgé de 68 ans, veut faire son dernier défi.

En connaisseur du monde de la publicité, il est conscient de l'émoi que son engagement susciterait. Il deviendrait à la fois conseil en stratégie, via ses agences de publicité, acheteur d'espaces, via ses centrales, et vendeur d'espaces via son entrée dans FTP. Vincent Bolloré, grand ami de Nicolas Sarkozy et président d'Havas, deuxième groupe publicitaire en France, a déjà fait savoir son mécontentement à l'Elysée. Pour éviter la polémique, Maurice Lévy propose de rester minoritaire à 40 %, laissant Stéphane Courbit à la manoeuvre.

La Commission de privatisation, devant laquelle passent obligatoirement toutes les ventes de sociétés publiques, a fixé une série de critères, dont le prix d'achat et la reprise des personnels sont les deux critères déterminants. Hi-Media et le duo Courbit-Lévy sont au coude à coude. Mais le tandem dispose manifestement de l'appui du cabinet de Christine Lagarde, la ministre de l'économie. Mieux informé des critères de sélection, c'est lui qui, pour finir, propose la meilleure offre : le rachat pour 16 millions d'euros, suivi d'une recapitalisation de 4 millions d'euros, le maintien du personnel de métropole pendant trois ans et la distribution aux 280 salariés de 15 % du capital.

Le 3 février, Patrick de Carolis convoque un conseil d'administration extraordinaire pour proposer l'engagement de négociations exclusives avec Lov-Publicis. Mais une intervention du représentant de l'Assemblée nationale, le député UMP Christian Kert, va semer le trouble. La Commission européenne a en effet changé la donne. En retoquant le projet de taxation de 0,9 % sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunications qui devait compenser financièrement la suppression de la publicité, elle a mis l'Etat dans l'embarras : il devra combler les 350 millions d'euros annuels de manque à gagner dans le budget de France Télévisions.

Dans ces conditions, explique le député de la majorité, "je suis favorable au maintien de la publicité avant 20 heures". En privé, l'élu n'a pas caché à Patrick de Carolis que plusieurs de ses collègues UMP, dont le patron du groupe, Jean-François Copé, jugent que le maintien des recettes publicitaires pour France Télévisions éviterait une nouvelle dépense budgétaire de l'Etat.

Pourquoi dans ces conditions vendre la régie, l'élément le plus rentable du service public ? "Il est urgent d'attendre", estime de son côté le journaliste Laurent Bignolas, représentant des salariés. Le sociologue des médias, Dominique Wolton, administrateur lui aussi, juge que "c'est typiquement le genre de décision prématurée prise pour faire plaisir à Sarko".
Le contrat de cession a déjà prévu qu'en cas de maintien de la publicité avant 20 heures, l'intégralité du surplus des recettes après impôts reviendrait à France Télévisions. Face au trouble de son conseil d'administration, Patrick de Carolis, dont le mandat s'achèvera cet été, décide de demander à Matignon la confirmation que le gouvernement ne reviendra pas sur la suppression de la publicité. Jusqu'ici, il n'a obtenu aucune réponse.

Ce week-end, le président des chaînes publiques affirmait au Journal du dimanche : "La vente n'est pas faite. Loin s'en faut." Une phrase qui a achevé d'exaspérer l'Elysée. (*)

Raphaëlle Bacqué et Marie-Pierre Subtil
Article paru dans l'édition du 11.02.10"

(*) La veille PdC prononçait également une autre phrase, toujours dans son interview au JDD que nous relations dans notre précédent post: « si la taxe télécoms n’est pas affectée au budget de France Télévisions, cela posera un problème au budget de l’Etat, pas au notre » ...autrement dit, c'est l'Etat donc le contribuable français qui paiera. Cette phrase aussi on peu imaginer asiément qu'elle a largement contribué itou à exaspérer l'Elysée!

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