Entendez
Frédérique Dumas Monsieur le Président de la République.
Dans une tribune que publie
« Libération », la députée UDI Frédérique Dumas parle des « outre-mer,
les grands oubliés de l’audiovisuel public »
Le blog CGC Média vous propose de
découvrir ce texte.
Les outre-mer, grands oubliés de l’audiovisuel public
Malgré la promesse faite par le
président de la République, en juin 2018, d'«une présence ultramarine au
plus haut dans notre audiovisuel public», la mort de France Ô est
programmée.
Tribune. Situés
aux quatre coins du monde, à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, les
outre-mer ont longtemps souffert de leur éloignement géographique, comme
relégués par-delà les mers à une forme de marginalité culturelle et politique.
Ils apparaissent à bien des égards comme les oubliés de la République, face
cachée, incomprise, voire méconnue de nos concitoyens et angle mort de
l’élaboration de nos politiques publiques.
Pourtant, des Caraïbes au
Pacifique Sud, en passant par l’océan Indien, les territoires ultramarins
participent à donner à la France son universalité. De par leur ancrage
océanique et leur ouverture sur le monde, de cette altérité construite au fil
des siècles avec l’ancienne métropole, de cette cohabitation des cultures qui
fondent la diversité syncrétique de notre pays, les outre-mer nous mettent face
aux défis de notre temps : comment construire l’autre mondialisation,
repenser notre rapport avec la planète et favoriser le vivre ensemble à l'aune
d'identités plurielles ?
Lors des conclusions des Assises
des outre-mer, en juin dernier, le président de la République tenait à rappeler
leur enracinement au cœur de la République, à travers l’imaginaire puissant de
l’archipel France, qui nous amène à reconsidérer la place laissée aux territoires
ultramarins au sein des représentations traditionnelles de notre pays. Il
affirmait alors : «J’entends
les préoccupations, sur France Ô il y aura un débat. Je vous demande dans
la concertation, là aussi, de faire évoluer ce dans quoi nous sommes enfermés
mais avec de vraies garanties, qu’il y ait une présence ultramarine au plus
haut dans notre audiovisuel public et il n'y aura aucun projet qui contrariera
cet objectif.»Une mise à mort sans vraie concertation.
Le 4 juin 2018, la
ministre de la Culture d'alors, Françoise Nyssen, avait, de son côté, annoncé
la mise en place d’une large concertation pour «interroger nos concitoyens d’outre-mer et leurs élus
pour déterminer si l’avenir est au maintien de France Ô sur le canal
hertzien ou au contraire au renforcement de la présence ultramarine sur les
chaînes généralistes». C’est pourtant sans consultation, ni de nos
concitoyens d’outre-mer, ni des publics hexagonaux, après une simple réunion
avec les parlementaires de la délégation aux outre-mer, alors farouchement
opposés à cette démarche unilatérale, que le Premier ministre et la ministre de
la Culture sonnaient le glas de France Ô, par voie de communiqué de
presse, en plein cœur du mois de juillet : «Les conclusions de la mission de concertation conduisent
à considérer que l’organisation actuelle du service public audiovisuel ne
permet pas de donner la visibilité nécessaire aux territoires ultramarins et à
leurs habitants. La représentation des territoires et des habitants ultramarins
doit, en effet, trouver sa juste place au sein de l’audiovisuel public, non pas
à la périphérie – comme c’est le cas aujourd’hui, à travers la chaîne
France Ô, dont l’audience reste encore trop confidentielle, mais par une
intégration au sein de la programmation de l’ensemble des autres chaînes de
France Télévisions : information et météo, documentaires, magazines,
émissions politiques, fictions.»
La libération du canal hertzien de
France Ô fut ainsi officiellement entérinée et annoncée pour «au plus tard en 2020».
En réalité, tout se passe «au plus tôt», dans une relative opacité.
Dans le rapport sur «l’audiovisuel public à l’ère du
numérique» remis par sept député·e·s, en mai 2018, il était
pourtant clairement mis en avant qu’il était de la responsabilité de la
tutelle, c’est-à-dire de l’Etat, d’avoir compromis l’attractivité de
France Ô et, par-delà, son existence même, avec une offre éditoriale
rendue illisible, partagée entre une timide ouverture sur l’outre-mer et la
tentation des cultures urbaines. Conscients que le débat passait par «un changement d’état d’esprit
important», les sept député·e·s estimaient qu’il était «fondamental de consacrer, une mission
pleine et entière à la place de l’outre-mer dans les missions des services
publics de l’audiovisuel» pour prendre des décisions pertinentes.
Les suppressions du Journal et des émissions
Que s’est-il passé depuis ?
Pour l’heure, pas une seule fois le groupe de travail annoncé par le Premier
ministre n’a été réuni. Il devrait se réunir pour la première fois
le 14 novembre prochain. Aucune réflexion, aucun appel d’offre,
autour de la conception de programmes ultramarins sur France 2 ou
France 3 n’ont été, ne serait-ce, qu’amorcés pour qu’ils puissent avoir la
moindre chance de voir le jour dans les grilles de la rentrée 2019. A l’inverse,
le volet «suppression» ne souffre, de son côté, d’aucun retard. Ont d’ores et
déjà été annoncés la suppression du Journal télévisé de France Ô pour
fin juin 2019 ainsi que l’arrêt de la production des émissions LTOM, Investigatiôns, Passion outre-mer,
Multiscénik et Archipels
à partir de septembre 2019.
Or, s’il est plus facile de mettre
un terme à des programmes existants, l’élaboration d’une offre alternative
forte constitue un véritable défi qui s’inscrit dans le temps long. L’écriture,
la production et la mise à l’antenne de nouveaux programmes attractifs et
valorisants sur les antennes de France 2, France 3 ou France 5
risquent de rester lettre morte. Enfin, il sera difficile de proposer des
créneaux décents sur France 2 ou France 3, du fait de la réduction de
cinq à trois chaînes. Quant à la fameuse offre numérique alternative, qui
peut vraiment y croire ? La bascule de la BBC 3 sur le e-player de
la BBC, a montré qu’une telle offre ne peut exister que si elle est poussée
par une offre linéaire forte et attractive et, donc, par une diffusion sur le
canal hertzien.
Tout cela ressemble donc à un
enterrement de première classe pour la «représentation
de l’archipel France» au nom des économies budgétaires, de la
chasse aux «conservatismes»
et de la soi-disant «modernité». Dans
son discours lors des conclusions des Assises des outre-mer, le président de la
République affirmait de manière forte : «N’ayons
pas un débat un peu hypocrite qui consiste à dire : comme personne ne veut
faire de décrochage sur l’audiovisuel public "noble" (France 2,
France 3 ou France 5…), on a créé un audiovisuel public national
périphérique qui s'appelle France Ô, personne n’en est vraiment content,
mais on va le garder comme ça parce que c'est un système de reconnaissance. Ça
n’est pas satisfaisant.»
A ce jour, ceux à qui il a confié
ce «grand projet,
dont rien ne devait venir contrarier l’objectif», n’ont
toujours pas proposé d’alternatives crédibles. Pourtant, c’est bien dès à
présent que se joue la liquidation de France Ô comme «système de reconnaissance».
Et c’est bien cela qui n’est pas, à nos yeux, «satisfaisant».