Grandes manœuvres autour de France Télévisions
12 Juin 2010 Par
Laurent Mauduit
Pour des raisons de procédure, Nicolas Sarkozy devra désigner avant fin juin le nouveau président de France Télévisions. Le patron d'Europe 1, Alexandre Bompard, qui est l'un de ses proches, est toujours son favori. Si elle se confirme, cette nomination serait choquante. Pour une cascade de raisons: professionnelles, éthiques et surtout démocratiques. Parti pris.
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Mediapart. 12 Juin 2010 Par
Sur le coup, Nicolas Sarkozy avait donc pris peur des retombées dans l'opinion d'une affaire aussi malencontreusement menée. Il avait donc différé l'annonce prévue. Et dans la foulée, il avait aussi différé d'autres décisions, comme l'éviction, pourtant décidée, d'Anne Lauvergeon de la présidence d'Areva (voir nos articles Areva: la mise à la porte d'Anne Lauvergeon est imminente et L'Elysée veut placer Yazid Sabeg à la présidence d'Areva). Ces cafouillages en cascade ont eu aussi un autre effet collatéral: comme nous l'avons raconté (voir notre article L'astre Alain Minc pâlit à l'Elysée), Alain Minc est alors tombé (provisoirement?) en disgrâce à l'Elysée. Trop visible, trop souvent maladroit, n'apportant plus guère que des ennuis au chef de l'Etat, l'encombrant conseiller a été placé, au moins pour un temps, sur la touche et n'a plus ses entrées à l'Elysée.
Mais visiblement, le nom du futur patron de France Télévisions n'a pas pour autant changé. Car deux mois plus tard, c'est toujours Alexandre Bompard qui est le favori présidentiel pour occuper le poste hautement stratégique de patron du géant français de l'audiovisuel public.
Conformément à la nouvelle procédure qui découle de la loi de mars 2009, cette candidature doit donc être validée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Mais comme le droit de veto de ces deux commissions ne jouent que s'il recueille les trois cinquièmes des suffrages exprimés, l'affaire est en vérité bouclée: Alexandre Bompard, qui a été conseiller au cabinet de François Fillon, alors ministre du travail, avant de passer à Canal+, et de devenir ensuite patron d'Europe 1 (groupe Lagardère), est maintenant plus que jamais en bonne position pour devenir le patron de France Télévisions. Et si tel est le cas, ce serait choquant, pour toute une série de raisons.
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Mediapart. 12 Juin 2010
La première raison est d'ordre professionnel.
Agé de 37 ans, Alexandre Bompard n'a évidemment pas l'expérience pour présider aux destinées d'un groupe public aussi considérable que France Télévisions – ce qui n'est pas le cas de Rémy Pfimlin, qui a dirigé France 3, sous la présidence de Marc Tessier. Inspecteur des finances, Alexandre Bompard ne s'est longuement intéressé qu'aux seules questions qui occupent ordinairement ses congénères. On lira d'ailleurs avec intérêt le rapport (il peut être téléchargé ici) qu'il a cosigné en septembre 2000 sur «l'Entreprise et l'Hexagone»: on y trouve tous les tropismes auxquels succombent souvent certains des hauts fonctionnaires qui sortent de Bercy – et pas seulement ceux de droite: détestation de l'impôt, des 35 heures, etc. Tout juste Alexandre Bompard peut-il faire valoir qu'il a été de 2004 à 2008 l'un des proches collaborateurs de Bertrand Méheut, le patron de Canal+.
Alors pourquoi Nicolas Sarkozy pourrait-il faire le choix d'Alexandre Bompard, plutôt par exemple que de reconduire Patrick de Carolis, qui est candidat à sa propre succession et qui n'a pas à rougir de son bilan? La réponse coule de source: parce que le choix sera pris sur des critères politiques et non sur des critères professionnels. Parce que Alexandre Bompard est une figure connue de la galaxie sarkozyste et que Patrick de Carolis a été nommé par Jacques Chirac. Ainsi va malheureusement le service public de la télévision: ceux qui sont pressentis pour en dessiner l'avenir ne sont pas ceux qui sont connus pour en défendre les valeurs et les principes.
En douterait-on d'ailleurs, il suffit de faire une plongée dans certains des travers qui affectent Europe 1 – et qui mortifient des journalistes de la station – sous la présidence d'Alexandre Bompard. Car dans une présentation un peu hâtive des choses, certains médias retiennent un bilan très flatteur de son action, aux commandes de la station privée faisant valoir que son audience a remonté. Mais ils omettent au passage de pointer certains comportements, qui y sont tolérés – l'aspect éthique ou déontologique des choses, si l'on peut dire.
Or, ce bilan-là, il faut aussi l'évoquer. Et il n'est guère flatteur. Témoin, cet entretien hallucinant de Stéphane Courbit réalisé mardi 2 mars par l'animateur Marc-Olivier Fogiel au micro de la station. Un entretien qui est un monument de connivence (on peut le retrouver ici dans sa version intégrale ou bien ci-contre). Certes, l'animateur n'en montre rien. Il garde les distances qui conviennent vis-à-vis de son invité, et le vouvoie. Tout juste note-t-il que Stéphane Courbit a été dans le passé le patron d'Endemol France, avant d'ajouter: «Nous avons travaillé d'ailleurs ensemble à cette occasion.» Mais rien de plus.
Les auditeurs d'Europe 1 n'auront donc pas compris que celui qui soumettait (sans la moindre pugnacité) son invité à la question est ami avec lui depuis plus de vingt ans. Mieux que cela! Stéphane Courbit a permis à son très proche ami Marc-Olivier Fogiel de réaliser une formidable plus-value (proche de 40 millions d'euros à notre connaissance, chiffre que minimise l'intéressé), notamment lors du rachat d'une partie de ses parts dans sa société Paf Productions.
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