mercredi 2 juillet 2014

Schneiderman dans Libé évoque la prise de distance des journalites de FTV envers Pflimlin....comme l'ensemble des salariés du reste!







"CHRONIQUE
C’est toujours un spectacle exotique, de voir une chaîne de télévision évoquer ses propres malheurs et turpitudes, comme si de rien n’était, comme si elle parlait de quelqu’un d’autre. Ce soir, le 20 heures de France 2 propose donc une enquête sur l’affaire Bygmalion, et plus particulièrement, annonce Pujadas, sur son «volet médiatique». Tiens, tiens. On dresse l’oreille. Vont-ils donc «en» parler ? Mais oui ! Après quelques zakouski, voici qu’apparaît le visage de l’ex-PDG Patrick de Carolis. Plus de doute : l’enquête de France 2 aborde bien le volet France Télévisions.
Il était temps. Depuis deux mois que Carolis a été mis en examen pour favoritisme, le silence de son ex-chaîne allait finir par devenir bruyant. Contraint et forcé, dos au mur, Pujadas a donc fini par s’y résoudre. Evidemment, on n’entre pas dans les détails. En deux minutes chrono, forcément, on survole. Par exemple, si l’enquêteur a inséré dans son sujet un plan sur Carolis, la même offense n’est pas infligée à son successeur, le PDG en titre, Rémy Pflimlin. Il ne faut tout de même pas exagérer (même si Pflim-lin devait prochainement être entendu par le juge Van Ruymbeke). De même, le reportage de France 2 ne précise pas la nature du savoureux renvoi d’ascenseur reproché à Carolis : non seulement, il a couvert de contrats de conseil son ami Bastien Millot, fondateur de la célèbre entreprise Bygmalion, mais à peine a-t-il quitté France Télévisions, que Bygmalion faisait appel à lui pour… une mission de conseil, en vue de la création d’une chaîne de télé locale en Picardie (chacun sait que Carolis est un éminent spécialiste de la télé locale, et de la Picardie).
France 2 a ainsi privé ses téléspectateurs de détails fort divertissants. Car le plus stupéfiant, dans ce genre d’affaires, ce sont toujours les détails. Ainsi, l’équipe Pflimlin n’a pas eu besoin de Bygmalion pour passer avec Carolis des contrats cocasses. L’actuel PDG, par exemple, a fait appel à son prédecesseur pour une mission. Devinez de quoi ? De conseil, bien entendu. Et plus précisément, de conseils pour remonter les audiences de son ex-émission, Des racines et des ailes (précisons qu’à l’époque où Pflimlin le charge de cette mission de conseil, Carolis ne présente plus lui-même l’émission, mais continue de produire une partie de ses reportages, un tiers exactement). Ne demandez pas pourquoi Carolis produit encore un tiers des reportages, et pourquoi pas deux tiers, et pourquoi pas trois tiers ou même quatre, et pourquoi, au terme de cette «mission de conseil», Carolis va finir par revenir à la présentation de l’émission, ne demandez pas si le conseilleur Carolis a conseillé de ré-embaucher le présentateur Carolis, et si, c’est pour cela qu’il a été payé. Ne posez pas ces questions. Ce sont les joyeusetés de la télévision publique française, de ses dirigeants, de leurs pactes, de leurs strates, de leurs carrières d’ascensoristes. De toutes façons, au terme de cette mission de «conseil», les audiences remontent. Miracle.
Interrogée, la direction de France Télévisions répondrait sans doute que Carolis était le plus qualifié pour fournir une expertise sur Des racines et des ailes, comme Bastien Millot, fondateur de Bygmalion, était le plus qualifié pour donner des conseils de com, comme (apprend-on dans Marianne) le numéro 2 du groupe, Bruno Patino, vient de confier à son ex-coauteur, Jean-François Fogel, une mission de… conseil sur le pilotage numérique (120 780 euros pour 122 jours de travail soit 990 euros par jour, selon Marianne), sans aucun doute parce qu’il est le plus qualifié. Interrogée, elle répondrait sans doute aussi que ce système, dans lequel une poignée d’abonnés au manège sont, tour à tour, conseilleurs et payeurs, est vieux comme la télévision publique.
Reste une question : comment interpréter cette enquête de France 2 ? Faut-il en retenir le caractère tardif et limité, ou plutôt noter que, malgré tout, il s’est trouvé des hiérarques de la rédaction pour la commander, et la valider ?
Si Pflimlin y est explicitement ménagé, il n’est pas moins vrai qu’il y est implicitement désigné, sous la forme d’un long plan sur l’opaque façade du bâtiment de France Télévisions. Aussi bien, la diffusion de cette enquête par la rédaction peut-elle s’analyser comme un début de prise de distance des journalistes par rapport à leur président et, pour celui-ci, le commencement de la fin.
Le plus incroyable, c’est que l’on tente de décrypter ce reportage comme, naguère, on scrutait les entrefilets et les omissions de la Pravda, alors qu’informer sur les médias devrait être, simplement, une forme de journalisme comme une autre."
Daniel SCHNEIDERMANN

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