La colère gronde à France Télévisions depuis les révélations faites ce weekend par le JDD dans un article
signé Renaud Revel concernant les mesures secrètes que l’ex Orange s’apprêtait à
faire passer – « une formalité »
selon son entourage – au Conseil d’Administration du 21 décembre
prochain.
Les salariés sont remontés comme des pendules au
regard du nombre des enfumages récurrents auxquels se livre la direction sur fond
de propagande permanente qui n’ont qu’un effet celui de plus croire un seul mot
de cette direction qui conduit leur entreprise à la ruine.
A l’aube de la défiance qui devrait en toute logique être
votée contre Delphine Ernotte, le blog CGC Media qui
vient d’être destinataire d’une analyse implacable d’un élu du C.E. Siège de France Télévisions ainsi
que du C.C.E. qui vient comme certains autres de ses collègues de
quitter la CFDT.
Le blog CGC Média vous
propose de découvrir in extenso cette remarquable tribune qui reflète
parfaitement l’état d’esprit des salariés face à la casse programmée de la télé
publique.
FRANCE
TV, LA SPIRALE INFERNALE
Par Thierry
VILDARY, élu indépendant du CE siège de France TV.
Il faudrait donc croire sur parole
Delphine Ernotte : la cure d’économies que nous annonce le JDD, issue de « la
fuite » de documents de son entourage proche, serait donc uniquement la
conséquence de réductions budgétaires qu’impose le gouvernement. De cinquante
millions d’euros à l’origine, nous serions d’ailleurs passés à soixante-quinze
millions.
Le rabot perpétuel
Le résultat : encore des
suppressions de postes (180), d’émissions et des coupes sombres dans le
catalogue des sports, pour le moins. Tout cela à l’issue d’un épisode où l’on a
craint pour les magazines d’info « Envoyé Spécial » et « Complément
d’Enquête ». Une source annonçait à un journaliste le licenciement de tous
les CDD des magazines, pour finalement se résoudre à trois suppressions de
postes, soit quand même 5 à 6 personnes de moins.
Sous le coup de l’émotion et des
annonces brutales de la direction de l’info, les salariés auraient maintenant l’impression
d’avoir évité le pire et en seraient presque soulagés ! Passant sur le
fait que la direction s’apprête encore à nous retirer 30 postes, ce qui était
sans doute l’objectif de départ.
Ce plan serait presque raisonnable,
d’autant qu’il est présenté comme résultant de l’unique volonté de l’actionnaire,
contre la volonté duquel - c’est bien connu – rien n’est possible !
Un chapelet d’incohérences
Les économies qu’a décidées l’État
ne sont pas une bonne nouvelle, certes, mais elles représentent moins de 2% du
budget de France TV. Est-ce soutenable et sinon pourquoi ?
Le rapport entre l’effort demandé et
ses conséquences, semble démesuré à chaque salarié, est-ce une fausse
impression ? Sinon pourquoi ? Les salariés de France TV et les contribuables, sont-ils ou non l’objet
d’une bataille de communication à coup de chiffres sur lesquels ils n’ont
aucune prise ? Autant de questions qui méritent d’être posées, « à tiède », à l’issue de
cette « séquence » comme disent les analystes politiques.
Danse avec les chiffres
L’état financier de France Télévisions
tout d’abord. Si l’on en croit la présidence,
la CGT, FO et même à présent la CFDT, qui partagent à l’unisson la même
analyse, la situation financière de FTV est menacée par cette contrainte de l’actionnaire
public, alors même qu'elle serait revenue à l’équilibre, pile-poil cette année !
Près de 220 M€ auraient donc été économisés
en deux ans et demi de présidence Ernotte, c’était le déficit laissé en héritage
par Rémy Pflimlin. Quel effort! Quel exploit! Nous voici donc, alors que les ressources de
France Télévisions, par le biais d’une nouvelle taxe sur les fournisseurs d’accès
internet, ont augmenté, sur une pente d’environ 100 M€/an de marge brute. Alors
question : comment un groupe qui économise 100M€/an sur son budget, tout en lançant
une chaîne info, peut-il se retrouver contraint de mettre en place un plan de départs
volontaires, sabrer dans ses moyens d’infos déjà dégraissés (nous y
reviendront), vendre certains bijoux de famille dans son catalogue de sports,
renoncer à candidater sur les JO 2024, une de ses missions historiques, passer
par-dessus bord des magazines d’info historiques ou qu’il vient de lancer ?
En clair, il faudrait croire
Delphine Ernotte quand elle dit que FTV ne peut pas absorber 50M€ d’économies
imposées par l’état, mais il faudrait aussi la croire quand elle dit que
le groupe va dégager de nouveau, sur sa lancée, 100M€ de marge sur l’exercice
en cours, comme lors de deux derniers exercices. C’est tout le problème des médailles
de bonne gestion que l’on s’accroche soi-même au revers du veston.
Alors de deux choses l’une
Soit les chiffres et les bilans
annoncés par la présidence sont faux et la situation affichée n’est pas celle-là,
auquel cas il faut diligenter un audit sérieux dans les meilleurs délais.
Soit les chiffres sont justes et
dans ce cas, les mesures d’économies masquent en réalité une politique éditoriale
qui ne nous est pas annoncée clairement.
Problème dans ces deux hypothèses,
on ment aux salariés et aux contribuables. Il est aussi possible que les
deux hypothèses soient valides, c’est à dire que les chiffres qu’on nous présente
ne soient pas les bons et que les vraies contraintes de Delphine Ernotte ne
soient pas celles qu’elle nous présente la main sur le cœur.
Hypothèse 1
Oui France Télévisions a réduit sa
voilure, tous ceux qui dans l’entreprise
font de la télé ou y concourent, le vivent au quotidien. Des postes non
remplacés, des CDD (c’est à dire des congés maladies non remplacés par exemple)
qui disparaissent, des journées de 11h à 13h pour des équipes de tournage
afin d’éviter des frais de mission, du montage en moins, des temps de préparation
de plateaux réduits au minimum, etc…Pourtant chaque année, ceci n’est pas
suffisant. Puisqu’on en parle beaucoup ces jours-ci, l’info à elle seule a
fourni l’équivalent de 100 postes en économie d’échelle entre 2016 et 2017 (chiffres
fournis à notre demande par la direction en commission emploi la semaine dernière).
Voilà qui validerait donc la piste des économies et du retour à l’équilibre.
Pas tout à fait, car pendant que
tout le monde se serre la ceinture, la présidence a lancé France TV dans des
projets démesurés sans en estimer ni les coûts, ni les conséquences. En premier
lieu la chaîne info. Près de 180 personnes, environ, 80 embauches sèches,
mais zéro cash pour fonctionner avec des plannings qui craquent aux coutures. Les
postes économisés à l’info sont là et on ne compte pas les contributions
directes en personnels des autres chaînes (nous le faisons tous de bonne grâce),
ni les apports en nature. Il est en effet curieux de noter que dans une maison
qui a érigé la comptabilité analytique en religion et la refacturation interne
en table de la loi à calculer, ceci ne concerne pas la chaine info. Faisceaux
non comptés, mise à disposition de personnels des chaînes, plateaux de duplex
non facturés, etc. Malgré tout cela n’empêche pas les deskeurs, certains monteurs, des
assistants, des chefs d’éditions, des journalistes etc. de commencer à craquer
devant les cadences qu’il faut tenir et face au manque de moyens. Quant à l’audience,
elle reste un sujet tabou.
Il aurait été beaucoup plus simple
de renforcer la version française de France 24 qui existe déjà mais évidemment
cela n’aurait pas donné lieu à ce moment de communication personnelle qu’est « l’appuyage sur le bouton »
d’une nouvelle chaîne. En somme, une majorité de salariés de « Franceinfo : »
souffrent, pendant que les autres voient leurs conditions de travail se dégrader.
Voilà où va une première partie des économies générées par tous.
Le 18 septembre dernier une consigne
venant de la Direction de l’info annonçait la fin des tournages avec des JRI
maison pour les magazines info et sports. C’était bien avant les annonces
gouvernementales. La marche à suivre : tout commander à l’extérieur, soit 30
à 50 % plus cher. Raison invoquée, rentrer dans les clous que nous impose
Bercy en matière d’ETP. En somme « commandez à l’extérieur tant que vous
avez encore une ligne budgétaire, et après, et bien vous verrez ». Une
manière, encore une fois, de renvoyer la responsabilité sur l’État seul, tout
en asphyxiant les magazines. Affaiblis, ils seront plus facilement
liquidables.
Tout ceci, n’est surement pas la
photographie d’une entreprise qui regagne des marges de manœuvres et revient à l’équilibre
mais au contraire d’un vaisseau qui navigue à vue et dont la capitainerie définit
le cap au jour le jour en fonction des urgences de sa communication. Des
pratiques de cabinet ministériel de la 4ème République, pas celles d’un grand
groupe audiovisuel moderne.
La Cour des comptes, dans un rapport
publié cette année, pointe une situation financière alarmante et une caste de
plus de 100 de hauts cadres au dessus de 120 000€ et plus de 240 au dessus de
96 000€. Et encore, de par la marge de manœuvre dont dispose un groupe
audiovisuel pour présenter son bilan (c’est lui-même qui détermine la valeur
des programmes en stock), il est très compliqué d’y voir clair financièrement. Un
audit extérieur et indépendant parait donc aujourd’hui indispensable car il y a
longtemps que les gens sérieux dans le milieu, reçoivent avec la plus grande méfiance,
toute communication financière venant de FTV. À part les membres du Conseil
d’Administration qui, sous anesthésie générale, lèvent toujours le bras sans
barguigner (c’est en tous cas comme cela qu’ils sont vus au 8ème étage !)
Hypothèse 2
Si, aussi improbable que cela puisse
paraître, les chiffres fournis sont justes. C’est à dire que France TV revient à
l’équilibre et s’apprête à dégager 100M€ de marge en 2018 et que, malgré tout,
pour 50M€ d’économies imposées, il faille mettre les chariots en rond,
rationner l’eau et les boites de singe, alors, c’est que ces économies sont
employées ailleurs. C’est que Delphine Ernotte sabre délibérément
dans l’info, les magazines, les programmes et le sport au profit d’autres
projets, comme elle l’a fait déjà pour la chaine info, nous l’avons vu.
Cette hypothèse est en partie étayée
par ses annonces concernant le feuilleton qui doit être lancé sur France 2. Un
projet coûteux à la réussite incertaine comme celui de TF1 vient de le démontrer et qui impose déjà
une réduction des productions de fiction de « la filière prod ». Il
y a aussi et surtout faudrait-il dire, le french Netflix, l’obsessionnelle
SVOD. Le projet pharaonique de Delphine Ernotte : regrouper des diffuseurs
européens pour vendre leurs programmes sur une plateforme de vidéo à la
demande.
Devant le flou du projet, Bercy n’a
accordé (puisque c’est hors COM) qu’une ligne de crédit de 500.000 € cette année.
Elle est déjà absorbée car, il y a dix jours, 5 dirigeants de cette filiale,
dont trois recrutés à l’extérieur, ont été nommés. Pour le reste, la présidence
prévoirait un budget de 15M€ sur trois ans pour lancer l’engin !
Tout un chacun a déjà apprécié la capacité de Delphine
Ernotte à surestimer la réussite à venir de ses projets autant qu’à sous-estimer
leur besoins de financements. Le premier budget présenté pour la chaine info était
de 17M€ (risible), deux mois plus tard, toujours en CE, il était déjà passé à 27
M€. Où en est-on réellement aujourd’hui ? S’il y a des marges de manœuvres dégagées
(et pour sûr il y en a) c’est donc qu’elles sont utilisées à des projets de
développement incertains voire chimériques ou hors de portée.
Surtout, elles sont employées dans
des projets sous-financés qui, une fois lancés, devront nécessairement être
re-financés, en ponctionnant encore plus les capacités de production de France
TV. Ainsi les plans d’économies toucheront-ils, sans fin, les secteurs qui
produisent des contenus, au cœur du savoir-faire et des missions de France TV, à
savoir principalement l’info et les programmes. Tout ce qui n’est pas la
culture de quelqu’un dont ce n’est pas le métier et qui se retrouve à gérer 2,8
milliards d’euros…mais ça, c’est encore
un autre débat
Devant un si brillant avenir et de
si enthousiasmants projets, Xavier Couture ne s’y est pas trompé, il a décidé
de s’en aller pour se lancer dans un projet de plateforme numérique dans le
sport, mais à Londres. Quelle marque de confiance !
Le gouvernement ne nous facilite pas
la tâche en changeant les règles en cours de Contrat d’Objectifs et de Moyens mais ce n’est pas la première fois.
Il aurait d’ailleurs été étonnant, au regard du contexte, de passer au travers.
France Télévisions a réussi autrefois à absorber la fin de la pub après 20H
mais surtout nous avons tous dû décaisser les restrictions imposées par la
gouvernance Ernotte pour financer ses projets incertains et non maîtrisés.
Un contre-pouvoir affaibli
Cet éclairage ne vous sera pas présenté
par les canaux habituels du contre-pouvoir à l’intérieur de l’entreprise. Il
faut reconnaitre la compétence des réseaux de Deplhine Ernotte pour amadouer
les « partenaires sociaux », puisque la majorité d’entre eux
entonne maintenant en chœur le même refrain de « l’État seul responsable de tous nos maux ». Une
situation unique dans l’histoire récente du syndicalisme. La conséquence: des
salariés qui ne savent pas si ce qu’ils vivent est bien réel car les relais de
leur situation sont faibles ou très minoritaires.
Non la situation n’est pas
totalement désespérée ; non les tours de vis autour du cou de ceux qui
fabriquent de la télé et du contenu ne sont pas inévitables. Ils découlent de choix ou d’erreurs
de gestion de l’entreprise, des choix très clairement contestables et dont
le constat est sans appel, à savoir qu’aucun d’entre eux ne s’est jusque-là montré
judicieux mais plutôt coûteux et hasardeux. Combien de rentrées faudra-t-il
pour retrouver une grille de l’après-midi qui marche et évite de rembourser les
annonceurs ?
Arrivera un moment où il faudra
clarifier le discours et apporter des réponses: dégageons-nous des marges ou
sommes-nous pendus par 50M€ de coupes budgétaires sur 2,8 milliards € ?
Comment croire encore à un double
discours qui jongle avec les chiffres, joue avec les salariés et finalement trompe
le contribuable, c’est à dire brouille l’indispensable lien de confiance qui
nous unit avec le public, notre plus précieux capital ? »
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