Maxime Saada ne croit pas en Salto…Canal + seul à pouvoir mieux rivaliser avec les plateformes américaines.
Maxime Saada estime que Canal+ peut défendre son rang face aux plateformes de SVoD américaines. Il l’a dit aux Echos dans une longue analyse du contexte audiovisuel français qu’il livre au quotidien et que le blog CGC Média vous propose de découvrir. (*« Canal+ a toutes les cartes en main »)
Le patron de Canal+ depuis cinq ans déjà en veut pour preuve, les partenariats signés avec Disney +, Netflix ou encore beIN malgré la perte d'une grande partie de la Ligue 1 de football. S’il dit (par courtoisie) « saluer l’initiative à laquelle il ne croit pas », Maxime Saada n’y va pas par quatre chemins « C'est un vrai métier la télévision payante. France Télévisions, TF1 et M6 l'ont expérimenté, autrefois, avec TPS [un gouffre à pognon qui a très rapidement disparu, ndlr]. Cela nécessite des moyens très conséquents et une assise mondiale ».
Salto devrait donc très vite suivre le même chemin que TPS et revenir comme un boomerang dans les dents de l’ex-Orange qui osait présenter la plateforme de rediffusions comme le Netflix à la française !
(*) « Canal+ a toutes les cartes en main »
A la tête de Canal+ depuis cinq ans, Maxime Saada analyse le retour en grâce de Canal+ depuis quelques mois, après des partenariats signés avec Disney +, beIN ou encore Netflix et malgré la perte d'une grande partie de la Ligue 1 de football. Il estime que Canal+ peut défendre son rang face aux plateformes de SVoD américaines. Et pointe que Canal+ n'est pas près de réinvestir à perte dans le football.
A l'heure de Netflix y a-t-il encore de la place pour un acteur français dans la télévision payante ? La place qu'occupe Canal+ le prouve. Cela fait cinq ans qu'un nouvel actionnaire de référence, Vincent Bolloré, est arrivé chez Vivendi, et m'a confié la direction de Canal+. Nous sommes aujourd'hui convaincus d'avoir franchi un cap. Nous sommes devenus un acteur clef du digital avec notre application myCanal, ses 15 millions d'utilisateurs mensuels, qui dépassera en 2020 le milliard et demi de contenus consommés en streaming contre un milliard un an plus tôt.
La puissance de myCanal est liée à l'agrégation de 200 chaînes de télévision en live - une différence essentielle par rapport aux plateformes américaines - et des services replay. Nous avons intégré Netflix, puis Disney + en exclusivité, et bientôt beIN Connect. Au total, ce sont plus de 50.000 contenus qui sont disponibles à tout moment. Et myCanal continue de monter en puissance avec un déploiement sur la PS4 et la PS5 ainsi que sur nos décodeurs les plus sophistiqués. Dans les douze prochains mois, 13 millions d'équipements additionnels porteront myCanal en France.
Enfin, au-delà des contenus audiovisuels, nous agrégeons des contenus culturels : de la presse (ce qui rencontre le plus de succès), des livres audio, des podcasts, des bandes dessinées, et demain peut-être de la musique.
Lire aussi : Canal+ affûte son arsenal anti Netflix. Mais ne restez-vous pas trop franco-français ?Nous sommes devenus un groupe mondial. Nous comptons désormais plus de 20 millions d'abonnés dans 40 pays, dont 5 millions en Afrique et plus d'un million en Asie. Notre ambition est désormais d'atteindre les 30 millions d'abonnés dans les cinq ans maximum. Pour l'essentiel hors de France, sous l'impulsion de Jacques du Puy, notre patron de l'international. Nous lancerons d'ailleurs prochainement nos activités en Ethiopie. Il y a quelques heures, nous avons franchi le seuil des 12 % du capital de la société sud-africaine Multichoice, leader de la télévision payante en Afrique anglophone et lusophone avec 16 millions d'abonnés. Et nous avons beaucoup d'autres projets de développement à l'étude.
Avec myCanal nous pouvons même envisager de nous lancer en digital dans de nouvelles géographies. Au-delà de la distribution, nous avons également changé de dimension dans les contenus. Nous sommes désormais un acteur qui compte au niveau international avec 3,2 milliards investis chaque année dans les contenus. Nous produisons 35 à 40 séries maison par an dans le monde - dont une dizaine de créations originales en France - et une trentaine de films via notre entité de production et de distribution, Studiocanal, dirigée par Anna Marsh. Sur tous nos territoires, nous développons des fictions et des films locaux. L'enjeu est dorénavant de favoriser l'ancrage local tout en faisant voyager nos productions cinéma et audiovisuelles dans nos 40 pays, pour nos 20 millions d'abonnés.
Canal+ est donc en train de se « netflixiser »…Notre modèle est conçu pour mieux rivaliser avec les plateformes américaines. Mais cela ne date pas d'hier : nous avons commencé il y a plus de sept ans, en lançant myCanal. Aujourd'hui, près de 70 % de nos abonnés l'utilisent. Cette impulsion a été renforcée avec l'arrivée de notre nouvel actionnaire au capital de Vivendi ; nous sommes alors passés à une logique offensive. Avec un plan d'économies de 1 milliard en France pour être plus compétitifs et une croissance de notre parc abonnés qui nous permet aujourd'hui de disposer d'une taille critique.
Lire aussi : L'alliance avec Netflix, un pari risqué pour Canal+. Mais le budget programme de Netflix, c'est 17 milliards de dollars…Le modèle Canal+ fonctionne, il est rentable. Nous atteindrons à la fin de l'année près d'un demi-milliard d'euros de résultat opérationnel. Notre satisfaction abonnés est au plus haut depuis cinq ans, à 84 %. Nous séduisons les jeunes, comme jamais, avec nos nouvelles offres digitales et des fictions comme « Validé » ou « La Flamme ». Canal+ est à la première place des entreprises préférées des étudiants et jeunes diplômés en 2020 dans la catégorie médias, selon une étude réalisée par l'agence Epoka et Harris Interactive. Nous nous apprêtons d'ailleurs à lancer une nouvelle identité de marque pour renforcer cette attractivité retrouvée.
N'y a-t-il pas un problème de prix pour Canal+ ? Netflix et Disney vendent peu cher de superproductions…Le prix d'accès à Canal+ est maintenant de 20 euros, et pour les moins de 26 ans c'est moins de 10 euros. Et, dans le même temps, le prix des abonnements aux offres concurrentes a eu tendance à augmenter. L'écart de prix se réduit et n'oubliez pas que nous offrons 300 films en première exclusivité, près de 60 séries, et les compétitions sportives les plus prestigieuses.
Lire aussi : Netflix passe devant Canal+ en France. L'inflation du prix des séries ne vous inquiète pas ? Pour se faire une place sur ce marché, il faut être global avec des séries qui voyagent. Canal+ a su multiplier les coproductions avec les plus grands : HBO, Sky, Netflix, Amazon, ou encore Apple. Notre création originale a désormais une réputation mondiale. Concernant les acquisitions de séries, on voit des tarifs augmenter mais le principal risque est qu'Hollywood assèche de plus en plus le marché, car les Américains réservent leurs contenus à leurs propres plateformes. Canal trouvera, lui, toujours à s'approvisionner car notre marque, notre savoir-faire et nos dizaines de millions d'abonnés ont une valeur. Notre taille nous permet d'avoir accès à des séries de choix.
Lire aussi : La guerre du streaming fait flamber le prix des séries télé. Dans ce contexte, la télévision gratuite n'est-elle pas encore plus fragile ? Il y a un sujet, oui, c'est certain. Cela me fait sourire car, il n'y a pas si longtemps, on nous disait que Canal+ allait disparaître… Contrairement aux chaînes gratuites, la télévision payante est sur un marché en forte croissance soutenue par une croissance démographique et économique sur tous nos territoires, en particulier l'Afrique, et le dynamisme des plateformes américaines qui convainquent chaque jour plus de personnes de payer pour les contenus. Sans compter le déploiement de la fibre et de la 5G, qui nous sont aussi très favorables : c'est plus de bande passante pour nos contenus.
Notre challenge c'est d'aller chercher des parts de marché sur ce marché en croissance. Je préfère cela à la télévision gratuite dont les audiences baissent chaque année inexorablement. Les plus grandes chaînes de télévision, surtout, ont du mal, alors que les plus petites, comme nos chaînes C8 ou Cstar, ont, elles, encore une marge de progression. Quand je lis les déclarations du patron de M6 appelant à plus de concentration sur le marché de la télévision, je me dis que ce n'est pas un hasard…
Quel regard portez-vous sur Salto, la plateforme payante de SVoD de France Télévisions, M6 et TF1 ? Je salue l'initiative Salto, mais je vous avoue que je suis sceptique sur les perspectives commerciales. Il y a beaucoup de monde sur ce marché, des acteurs de qualité avec des positions attractives dont Canal+ fait partie. C'est un vrai métier la télévision payante, France Télévisions, TF1 et M6 l'ont expérimenté, autrefois, avec TPS. Cela nécessite des moyens très conséquents et une assise mondiale. Je souhaite néanmoins à Salto beaucoup de succès.
Lire aussi : Salto, pour quoi faire ? Pourquoi Canal+ continue de miser sur le satellite ? Ce marché va continuer de croître dans de nombreux territoires. On ne peut pas en dire autant de la TNT ! Le satellite est donc un atout. Cela nous permet aussi de nous développer dans les continents comme en Afrique où le haut débit n'est pas encore très présent. Enfin notre modèle est fort parce qu'il est diversifié. Nous sommes présents via le satellite et le digital, en France et à l'international, dans le domaine du cinéma, du sport et des séries, dans le gratuit et le payant, dans la création et l'agrégation de contenus… Notre présence sur toute la chaîne de valeur est un facteur de résistance dans un environnement ultra-compétitif et trop régulé. La présence sur toute la chaîne de valeur est un facteur de résistance dans un environnement ultra-compétitif et trop régulé.
Le gouvernement français vient de finaliser un dispositif visant à faire participer les Netflix & Co au financement de la création française. Est-ce que cela va dans le bon sens ? J'attends de voir mais j'ai déjà une inquiétude : je vois qu'il y a une obsession pour le financement des œuvres françaises, mais une absence totale de réflexion sur la souveraineté culturelle et le rayonnement des contenus français dans le monde. Cela me désole. Faire contribuer les plateformes américaines au financement de la création en France c'est bien, mais qui mieux que Canal+ peut assurer, en France comme à l'international, la promotion de ces contenus ?
On va accroître la dépendance de producteurs - qui ne resteront par ailleurs pas tous éternellement français - aux plateformes américaines et rien n'est fait pour nous soutenir ! Comme si, en matière de politique industrielle dans l'automobile, on se concentrait sur les investissements de Toyota et Tesla en France sans s'occuper de Renault et de Peugeot. Sur la TVA, le piratage, la capacité à être propriétaires des séries que l'on finance, il faut agir. Nous avons le sentiment que la partie principale de l'équation est oubliée.
Lire aussi : Faire contribuer Netflix, Disney et Amazon à la création française ? « C'est une révolution digne de la loi de 1981 sur le livre », estime Roselyne Bachelot. Quand Mediapro ne veut pas payer pour le football français, cela vous inquiète ?
Je suis en effet très inquiet pour le foot français. La situation de Téléfoot n'a rien à voir avec la crise sanitaire. Depuis la reprise, les matchs se sont joués et se jouent aux dates et aux horaires attendus. Il ne faudrait pas que cette situation d'absence de paiement des droits TV dure trop longtemps, cela risquerait d'abîmer l'image, la qualité, et in fine la valeur de la Ligue 1. Déjà, nous le voyons, les gens s'en détournent. On observe par ailleurs une véritable explosion du piratage depuis le lancement de Téléfoot… Quand des mauvaises habitudes se prennent, il est très difficile de revenir en arrière.
Est-ce que la situation de Mediapro n'est pas l'expression de l'éclatement de la bulle sportive ? Le sujet ne date pas de Téléfoot. Avant il y a eu TPS, puis Orange, puis beIN Sports, puis Altice, et enfin Mediapro. Il y a toujours quelqu'un qui pense qu'il pourra mieux que nous rentabiliser des droits en payant plus cher que Canal. Comme vous le savez et je me suis prononcé sur le sujet dès le lendemain de l'appel d'offres, j'ai toujours pensé que l'équation économique était intenable compte tenu du prix payé pour les droits.
Lire aussi : Mediapro : une conciliation pour sortir Téléfoot de l'impassePourriez-vous vous investir plus dans le football français ?En réalité, l'arrivée de Téléfoot ne nous a pratiquement pas fait perdre d'abonnés lors de cette rentrée. Nous enregistrons même, pour la première fois depuis longtemps, une croissance de notre parc d'abonnés en France grâce au travail de Frank Cadoret et de ses équipes. Par ailleurs, nous avons réinvesti une large partie des sommes initialement consacrées à l'appel d'offres Ligue 1. Nous avons racheté un lot clé de cette compétition à beIN avec lequel nous avons également signé un accord de distribution exclusif.
Nous avons investi dans Disney +et dans la Ligue des champions qui reviendra chez nous la saison prochaine avec, pour la première fois, les deux plus belles affiches de chaque journée. Elle viendra compléter une offre sport riche de Ligue 1, de Top 14, de Formule 1, de MotoGP, de Premier League, de golf, de boxe, etc. Cette stratégie fonctionne et il n'est pas question de faire plonger Canal+ dans le rouge en réinvestissant à perte dans le football.
Lire aussi : « Le lancement de Disney + en France sera énorme ! » promet Kevin MayerVous êtes donc confiant ? Nous avons des équipes qui ont prouvé qu'elles pouvaient soutenir notre croissance dans une multitude de géographies. Nous avons avec myCanal un actif stratégique qui peut encore monter en puissance. Nous avons sécurisé des droits essentiels sur une longue période. Nous avons le plein soutien de notre actionnaire Vivendi. Nous allons multiplier les synergies avec Universal Music, Editis ou encore Dailymotion. Nous avons des liens forts avec les plus grands artistes français et européens. Canal+ a toutes les cartes en main. Je suis serein...
Son parcours. Chez Canal+ depuis 2004, Maxime Saada est passé par presque tous les métiers du groupe, avant d'en devenir le président du directoire en 2018. Il y est entré pour piloter la stratégie avant de se voir confier successivement la direction des deux activités phares : celle des chaînes payantes d'abord (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport…), puis celle de CanalSat, l'activité de distribution de chaînes de télévision. Ce cinquantenaire à l'œil rieur et au parcours scolaire d'excellence (HEC-SciencePO Paris), a aussi contribué au rapprochement entre TPS et CanalSat contestée par l'Autorité de la concurrence. Il a débuté sa carrière au sein de l'antenne nord-américaine de la DATAR chargée de la promotion des investissements américains en France, avant de faire ses premières armes chez McKinsey.
Son actualité. Bousculée par Téléfoot, la nouvelle chaîne sportive de Mediapro, qui lui a ravi les 10 meilleures affiches des droits télé de la Ligue 1 de football, le champion français de la télé payante a réagi en réduisant ses coûts et en diversifiant ses investissements. La chaîne cryptée a signé avec beIN Sports, dont elle est devenue le distributeur exclusif et à qui elle a racheté entre autres 28 des affiches de la Ligue 1. Face à la forte concurrence des plateformes de SVoD phares qui ont débarqué en France, Netflix et Disney +, Canal a choisi de « pactiser » avec l'ennemi en concluant des partenariats de distribution pour enrichir son offre et en devenant une plateforme d'agrégation de contenus et de mutualisation des abonnements. Enfin, elle s'est offert à partir de la prochaine saison les affiches de la Ligue des champions de football. Le groupe qui accélère à l'international est devenu un acteur majeur en Pologne et multiplie les investissements en Afrique francophone. Il s'est invité au capital d'un groupe sud-africain très présent en Afrique anglophone.
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