Interview publiée le 22 février 2012 par « Ecran
total » où Jacques Kirsner déclare: "Le PDG de France Télévisions doit
rester en place pour dix ans".
Ecran
total : "Les Nouveaux Chiens de garde ", documentaire que vous avez
est un pamphlet cantre la connivence entre les médias et les puissances
d'argent, et contre la pensée unique. Sorti sur moins de 50 copies, ses entrées
sont restées stables pendant trois semaines. Il va sans doute réaliser 150.000
entrées, voire plus. C'est ce qu'on appelle un succès.
Jacques Kirsner : Le
travail du distributeur est formidable. D'autant que les grands circuits,
Gaumont-Pathé, UGC et MK2, l’ont refusé. UGC a refusé de le projeter aux Halles
et MK2 à Beaubourg…
E.T. : Selon vous, sont-ils passés du
côté du potentiel du film ou est-ce un acte volontaire ?
J.K : Je n’ai pas les
éléments pour parler de censure mais je constate. Et Canal + n’a pas
préfinancé.
E.T. : Ils préfinancent à peine la
moitié des films produits…
J.K : Maintenant que le
film est sorti et qu’il marche, ils ne l’achètent pas non plus. Ils ne me font
même pas une proposition. Cela pose la question du monopole de Canal + sur la
télévision payante, un monopole dangereux, insupportable. C’est un problème
grave, et ce sera aux socialistes, s’ils gagnent de le traiter. Je croyais que
l’on avait fait un pas en avant définitif vers la liberté d’expression. Je
constate que ce n’est pas le cas. Il y a trois ans, Canal + m’avait dit ne
pouvoir préfinancer un projet qui mettait en cause un de ses actionnaires le groupe
Lagardère. Mais, ils m’avaient dit : produisez-le et on l’achètera. Il est sur
les écrans, c’est un succès, et on en est au même point.
E.T. : Il y a Orange Cinéma Séries…
J.K : Même refus de leur
part et une politique éditoriale qui semble étrangement en symbiose avec celle
de Canal +.
E.T. : Vous êtes aussi un producteur de
fictions et de documentaires. Vous travaillez surtout avec le service public.
Nombre de producteurs critiquent France Télévisions. Quel est votre point de
vue ?
J.K : Il faut faire très
attention à la mode qui consiste à tirer sur les dirigeants de France
Télévisions. Pas un mot sur les chaînes commerciales ou Canal +. Selon moi le
prochain président de la
République doit prendre l’engagement de la stabilité du
service publique. Je comprends que l’on change la loi sur l’audiovisuel, mais
cela n’implique pas que l’on change le PDG de France Télévisions. Seule la
stabilité permet de concevoir et de mettre en œuvre une politique. Cette
stabilité suppose deux mandats, soit dix ans pour le PDG. Être partisan de
cette stabilité n’implique aucun conservatisme. Au contraire, c’est la
condition d’un vrai changement. Je dis ça alors que j’ai des échanges souvent
animé avec Rémy Pflimlin. Mais c’est la vie, il faut distinguer l’essentiel de
l’accessoire.
E.T. : Comment jugez-vous sa politique ?
J.K : D’abord, il faut le
féliciter d’avoir détricoté un système centralisé qui mettait en danger la
liberté de création. C’est un acquis. Par ailleurs, il reste bien des problèmes
çà résoudre. Je vais prendre deux exemples extrêmes. D’un côté, il y a France
5, une chaîne d’exception, de modernité en phase avec le siècle. Vous entrez à
France 5 et vous sentez vivre la chaîne. Le personnel en est fier et aime ce
qu’il fait. C’est la meilleure chaîne de l’audiovisuel français. Et, à l’autre
extrémité, il y a France 4 : une
catastrophe, une vulgarité qui, parfois frôle le racisme, avec des blagues de
troisième mi-temps. Je caricature à peine. Ce devrait être une chaine de la
jeunesse républicaine des banlieues alors que c’est une poubelle. L’excellence
d’un côté, le pire de l’autre. Ce sont les contradictions et les défis du
groupe.
E.T. : Et France 2 et France 3 ?
J.K : Je ne vais pas passer
toutes les chaînes au crible. Je remarque seulement une tendance lourde :
l’apparition de plus en plus fréquente aux postes de responsabilités, notamment
des programmes qui étaient détenus auparavant par des saltimbanques, de gens
issus des écoles de gestion et de commerce. Les comptables et les commerciaux
ont des qualités. Mais les programmes en exigent d’autres. Cela me conduit à
m’interroger. France Télévisions n’a-t-il pas un champ d’action trop vaste. Qui
trop embrasse, mal étreint. Qui peut diriger cinq chaîne démultipliées par le
numérique ? Le prochain gouvernement devrait impérativement engager une
réflexion sur le service public, une réflexion qui débouche sure des
propositions concrètes dont on tient compte. Et plutôt que les éternels états
généraux, toujours revendiqués et jamais convoqués, le prochain gouvernement
pourrait songer à organiser des journées de la création, de l’orientation du
service public. Arte pourrait d’ailleurs s’y associer.
E.T. : Vous allez produire pour le
cinéma un film sur Louis-Ferdinand Céline. C’est un personnage véritablement
odieux.
J.K : C’est un monstrueux
génie. Le scénario est d’Emmanuel Bourdieux et Marcia Romano. Nous travaillons
sur le casting. Ce film raconte la période où Céline s’est réfugié au Danemark.
Un universitaire juif américain vient alors à sa rencontre. Le metteur en scène
Christophe Blanc termine, également pour le cinéma, l’adaptation de l’Arme à gauche. Enfin, nous allons
débuter pour France 3, le tournage de Clémenceau interprété par Michel
Duchaussoy. Il sera réalisé par Olivier Guignard sur un scénario que j’ai écrit
avec Serge Berstein.
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