mardi 24 avril 2012

Jacques Kirsner déclare à Ecran Total: "Le PDG de France Télévisions doit rester en place pour dix ans".


Interview publiée le 22 février 2012 par « Ecran total » où Jacques Kirsner déclare: "Le PDG de France Télévisions doit rester en place pour dix ans".

Ecran total : "Les Nouveaux Chiens de garde ", documentaire que vous avez est un pamphlet cantre la connivence entre les médias et les puissances d'argent, et contre la pensée unique. Sorti sur moins de 50 copies, ses entrées sont restées stables pendant trois semaines. Il va sans doute réaliser 150.000 entrées, voire plus. C'est ce qu'on appelle un succès.
 
Jacques Kirsner : Le travail du distributeur est formidable. D'autant que les grands circuits, Gaumont-Pathé, UGC et MK2, l’ont refusé. UGC a refusé de le projeter aux Halles et MK2 à Beaubourg…

E.T. : Selon vous, sont-ils passés du côté du potentiel du film ou est-ce un acte volontaire ?

J.K : Je n’ai pas les éléments pour parler de censure mais je constate. Et Canal + n’a pas préfinancé.

E.T. : Ils préfinancent à peine la moitié des films produits…
J.K : Maintenant que le film est sorti et qu’il marche, ils ne l’achètent pas non plus. Ils ne me font même pas une proposition. Cela pose la question du monopole de Canal + sur la télévision payante, un monopole dangereux, insupportable. C’est un problème grave, et ce sera aux socialistes, s’ils gagnent de le traiter. Je croyais que l’on avait fait un pas en avant définitif vers la liberté d’expression. Je constate que ce n’est pas le cas. Il y a trois ans, Canal + m’avait dit ne pouvoir préfinancer un projet qui mettait en cause un de ses actionnaires le groupe Lagardère. Mais, ils m’avaient dit : produisez-le et on l’achètera. Il est sur les écrans, c’est un succès, et on en est au même point.

E.T. : Il y a Orange Cinéma Séries…

J.K : Même refus de leur part et une politique éditoriale qui semble étrangement en symbiose avec celle de Canal +.

E.T. : Vous êtes aussi un producteur de fictions et de documentaires. Vous travaillez surtout avec le service public. Nombre de producteurs critiquent France Télévisions. Quel est votre point de vue ?

J.K : Il faut faire très attention à la mode qui consiste à tirer sur les dirigeants de France Télévisions. Pas un mot sur les chaînes commerciales ou Canal +. Selon moi le prochain président de la République doit prendre l’engagement de la stabilité du service publique. Je comprends que l’on change la loi sur l’audiovisuel, mais cela n’implique pas que l’on change le PDG de France Télévisions. Seule la stabilité permet de concevoir et de mettre en œuvre une politique. Cette stabilité suppose deux mandats, soit dix ans pour le PDG. Être partisan de cette stabilité n’implique aucun conservatisme. Au contraire, c’est la condition d’un vrai changement. Je dis ça alors que j’ai des échanges souvent animé avec Rémy Pflimlin. Mais c’est la vie, il faut distinguer l’essentiel de l’accessoire.

E.T. : Comment jugez-vous sa politique ?

J.K : D’abord, il faut le féliciter d’avoir détricoté un système centralisé qui mettait en danger la liberté de création. C’est un acquis. Par ailleurs, il reste bien des problèmes çà résoudre. Je vais prendre deux exemples extrêmes. D’un côté, il y a France 5, une chaîne d’exception, de modernité en phase avec le siècle. Vous entrez à France 5 et vous sentez vivre la chaîne. Le personnel en est fier et aime ce qu’il fait. C’est la meilleure chaîne de l’audiovisuel français. Et, à l’autre extrémité, il y a France 4 : une catastrophe, une vulgarité qui, parfois frôle le racisme, avec des blagues de troisième mi-temps. Je caricature à peine. Ce devrait être une chaine de la jeunesse républicaine des banlieues alors que c’est une poubelle. L’excellence d’un côté, le pire de l’autre. Ce sont les contradictions et les défis du groupe.

E.T. : Et France 2 et France 3 ?

J.K : Je ne vais pas passer toutes les chaînes au crible. Je remarque seulement une tendance lourde : l’apparition de plus en plus fréquente aux postes de responsabilités, notamment des programmes qui étaient détenus auparavant par des saltimbanques, de gens issus des écoles de gestion et de commerce. Les comptables et les commerciaux ont des qualités. Mais les programmes en exigent d’autres. Cela me conduit à m’interroger. France Télévisions n’a-t-il pas un champ d’action trop vaste. Qui trop embrasse, mal étreint. Qui peut diriger cinq chaîne démultipliées par le numérique ? Le prochain gouvernement devrait impérativement engager une réflexion sur le service public, une réflexion qui débouche sure des propositions concrètes dont on tient compte. Et plutôt que les éternels états généraux, toujours revendiqués et jamais convoqués, le prochain gouvernement pourrait songer à organiser des journées de la création, de l’orientation du service public. Arte pourrait d’ailleurs s’y associer.

E.T. : Vous allez produire pour le cinéma un film sur Louis-Ferdinand Céline. C’est un personnage véritablement odieux.

J.K : C’est un monstrueux génie. Le scénario est d’Emmanuel Bourdieux et Marcia Romano. Nous travaillons sur le casting. Ce film raconte la période où Céline s’est réfugié au Danemark. Un universitaire juif américain vient alors à sa rencontre. Le metteur en scène Christophe Blanc termine, également pour le cinéma, l’adaptation de l’Arme à gauche. Enfin, nous allons débuter pour France 3, le tournage de Clémenceau interprété par Michel Duchaussoy. Il sera réalisé par Olivier Guignard sur un scénario que j’ai écrit avec Serge Berstein.

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