« Des magistrats de la Cour de cassation juges et parties ? » interpelle Alternatives
économiques d'avril !
Dans un article
paru ce 19 avril sur le site de «Alternatives
économiques » (A lire dans Alternatives Economiques n°378 -
04/2018) s’interrogeant sur le fait que des
magistrats de la Cour de cassation puisse être juges et parties!
« Peut-on à la fois dire le droit et intervenir en tant que
conférencier pour le compte de l’entreprise qu’on est en train de juger ? » se demande d’entrée de jeu le site qui à l’évidence
y répond en ironisant « cela ne semble pas avoir effleuré des
magistrats de la chambre sociale de la Cour de cassation » !
L’obligation d'impartialité (que celle-ci soit
objective ou subjective) est une règle élémentaire
sans ambigüité dispensée notamment par l'École nationale de
la magistrature (ENM). En
effet, "Interdiction est faite de juger si le juge a un lien personnel ou
professionnel avec une partie au litige".
"Le juge qui suppose en sa personne une cause de
récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir se fait remplacer par un
autre juge que désigne le président de la juridiction à laquelle il
appartient" (article 339 cpc)" ajoute l’avocat Philippe Ravisy.
Extrait de l’article précité :
« L’arrêt du 28 février 2018 concernant
la filiale française du groupe néerlandais Wolters Kluwer (qui édite entre
autres des publications de Liaisons sociales et de Lamy) en est une
illustration [de savoir si des magistrats de la Cour de cassation peuvent être juges et parties,
ndlr]. Les magistrats ont rendu
en l’espèce un arrêt très défavorable aux salariés, confirmant au passage un virage pro-entreprise de la chambre sociale, dont nous
faisions mention dans nos colonnes il y a quelques mois.
Au cœur de l’affaire, un montage financier, répondant
au nom de code « Cosmos », réalisé en 2007 lors de la fusion de
plusieurs filiales françaises du groupe, réunies au sein de Wolters Kluwer
France (WKF). Les intérêts d’emprunt
versés à la maison mère à Amsterdam ont siphonné la participation des
salariés français.
La nouvelle entité juridique a alors été contrainte de
contracter un emprunt de 445 millions d’euros auprès de sa maison mère, la
holding à Amsterdam. Jusque-là, rien
d’illégal, si ce n’est que les intérêts d’emprunt, extrêmement élevés (fixés à
l’époque à 7,3 %) pour une opération intragroupe, ont eu pour conséquence
de littéralement siphonner la participation des salariés français pendant de
nombreuses années, ce complément de revenus pouvant selon les exercices se
monter jusqu’à trois mois de salaires par salarié.
Longue bataille judiciaire
Un
emprunt dissimulé aux représentants du personnel, car il a été souscrit en
juillet 2007, juste après la restructuration, au moment où la nouvelle
société WKF n’avait pas de comité d’entreprise (il sera reconstitué deux mois
plus tard). L’opération Cosmos a également entraîné un gain fiscal pour la
maison mère. La cession des titres Lamy et Groupe Liaisons (bénéficiaires à
l’époque) a permis la distribution de dividendes à hauteur de 555 millions
d’euros perçus en 2008 par la maison mère WKI NV. Une aubaine. Le taux
d’impôt sur les sociétés de 15 % aux Pays-Bas étant plus favorable qu’en
France (33 % en 2007).
Les
syndicats de WKF (Ugict-CGT, SNJ, CFDT et la CNT), sont montés au créneau. A
l’issue d’une longue bataille judiciaire (une
enquête pénale ayant même été menée pour entrave au fonctionnement du comité
d’entreprise), la cour d’appel de Versailles leur a donné raison le
2 février 2016.
Au
vu du contenu du dossier, dans un climat plutôt marqué par la lutte contre
l’optimisation fiscale agressive et alors que les questions d’intéressement et
de participation reviennent dans le débat à la faveur de la future loi Pacte
sur l’entreprise, les salariés et leurs
syndicats espéraient une confirmation de la décision par la Cour de cassation.
C’est
tout le contraire qui s’est produit. Les juges ont estimé que les salariés
auraient dû contester le calcul de la réserve de la participation alors
certifié par un commissaire aux comptes. Faute de l’avoir fait, les syndicats
ont subi un sérieux revers – « quand bien même l’action des
syndicats était fondée sur la fraude et l’abus de droit invoqués à l’encontre
des actes de la gestion de la société », justifient les juges.
Une
motivation qui a heurté les salariés de WKF et leurs conseils et
surpris également nombre de juristes spécialisés dans le droit du travail.
Car
jusqu’à présent, la fraude était systématiquement condamnée.
« En d’autres termes, cet arrêt laisse entendre que
même si un montage financier est frauduleux, en l’occurrence pour priver des
salariés de leur participation, il peut quand même prospérer. De mémoire de
juriste, je n’ai jamais vu ça », souligne un
professeur de droit.
La fraude corrompt tout !
« Cela
peut vouloir dire que la fraude ne fait plus exception à toutes les règles » explique de son côté le professeur
de droit Gilles Auzero, qui a commenté l’arrêt dans les Cahiers
Sociaux. Dans la jurisprudence prévaut l’adage « fraus omnia
corrompit » c’est-à-dire la fraude corrompt tout.
Alors bien sûr, on pourrait dire que ce n’est qu’un
adage et que les juges ont le droit de s’en affranchir, mais, juridiquement, les motivations de l’arrêt
demeurent discutables.
« Les salariés ne pourraient
donc plus contester parce qu’il y a une attestation du commissaire aux
comptes ? Mais ce n’est pas l’attestation elle-même qui est en cause. Un
commissaire peut légitimement dire que le bénéfice net est égal à zéro et qu’il
n’y aura donc pas de participation. Ce qui compte, c’est ce qui s’est passé en
amont et par quel montage cette participation est devenue nulle. »
Cette « cassation sans
renvoi », qui dans le langage des juristes signifie que les syndicats
n’ont aucune possibilité de recours (*), pourrait n’être qu’un coup dur porté aux salariés de
WKF et plus largement aux opposants des pratiques d’optimisation fiscale
agressive. Mais beaucoup de salariés
n’acceptent pas que les magistrats qui ont rendu l’arrêt aient une connaissance
approfondie de leur entreprise.
Des
magistrats dans les colloques de WKF
Les
juges, à commencer par le président de la chambre sociale, Jean-Yves Frouin (qui termine son mandat dans les prochains mois),
le doyen Jean-Guy Huglo et la
conseillère Laurence Pécaut-Rivolier,
qui ont statué sur cette affaire au
sein d’une formation composée de dix magistrats, connaissent bien Wolters Kluwer France. Ils y
interviennent régulièrement dans le cadre de conférences et de colloques
payants organisés par le groupe pour un public essentiellement composé de
juristes et de DRH.
Cette activité
formation est au cœur des métiers de WKF. Conseillère
à la chambre sociale, Laurence Pécaut-Rivolier s’exprime dans les colloques sur
le nouveau comité social et économique (CSE) issu des ordonnances Macron et qui
a remplacé le comité d’entreprise. Le 7 mars 2018, elle participait ainsi
à une journée de conférences, « Tout ce qu’il faut savoir sur le
CSE » organisée par Wolters Kluwer.
Et c’est encore
Laurence Pécaut-Rivolier qui sera amenée à juger les affaires qui remonteront à
la Cour de cassation dans une formation spécialisée au sein de la chambre
sociale sur le CSE.
(*) Les salariés
de WKF pourraient certes envisager « la saisine de la Cour de
justice de l'Union Européenne qui peut certes émaner d'un État membre mais
aussi d'une institution européenne comme dans certaines hypothèses, d'une
personne privée comme d’une entreprise, d’une organisation (d’un ou plusieurs syndicats donc) ou d’un citoyen
de l'Union européenne »…
La procédure qui
pourrait s’avérer longue pourrait ainsi rappeler plusieurs règles à tous comme "Le juge qui suppose en sa
personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir se
fait remplacer par un autre juge que désigne le président de la juridiction à
laquelle il appartient" ou encore "Que la
fraude ne peut en aucun cas prospérer – faisant dès lors exception à toutes les règles – et priver ainsi les plaignants de toute action en Justice que ce soit" !
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