La CFDT Média écrit ce 20 mai 2015 une lettre au Président de la République sur "l’audiovisuel public, sa gouvernance et sa régulation qui défraient la
chronique depuis plusieurs mois maintenant..."
Le SNPCA-CGC syndicat partie civile aux côtés de la CFDT dans le volet France Télévisions de l'affaire Bygmalion instruit par le juge Renaud Van Ruymbeke, soutient totalement cette démarche et ce courrier.
Le blog CGC Média n'ajoutera pas grand chose à cette lettre (ci-après) plus qu'édifiante, sauf à paraphraser le syndicat : "Les éléments qui reviennent à nous
depuis plusieurs semaines et qui dépeignent au CSA, un fonctionnement digne des
meilleures républiques bananières."
Voici ce courrier
"MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE...
Monsieur le Président de la République Française,
nous voici réunis, nous militants, élus, représentants syndicaux CFDT- Médias
France Télévisions, autour de ce courrier, pour vous interpeller sur
l’audiovisuel public, sa gouvernance et sa régulation qui défraient la
chronique depuis plusieurs mois maintenant...
Les récentes révélations de
Médiapart ne font que coucher sur le papier les éléments qui reviennent à nous
depuis plusieurs semaines et qui dépeignent au CSA, un fonctionnement digne des
meilleures républiques bananières.
Tant de dysfonctionnements ne peuvent, selon
nous, relever du hasard, pas plus que de la loi des séries ; mais bien d’un
manque de compétence, de transparence, d’éthique, de morale, en somme de
sérieux et de respect dans la conduite de la chose publique. Les faits que nous
soulignons ici relèvent d’une forme de dérive dans la gouvernance et le
contrôle de sociétés, dont la mission est de servir le public et dont l’état,
seul actionnaire, en est le garant.
En mai 2014, la ministre de la
culture de l’époque, nomme directeur de cabinet, le Directeur Général de France
Télévisions. Jusque là rien d’extravagant. C’est oublier qu’il évolue alors (et
encore aujourd’hui) sous le statut de témoin assisté dans l’affaire Bygmalion/France
Télévisions, dossier dans lequel nous sommes partie civile. Si une mise en examen
et encore moins, un statut de témoin assisté, ne doivent.pas entacher la
présomption d’innocence, une telle nomination à la tête du ministère de
tutelle, dénote pour le moins un manque de prudence et de sérieux. Comment
peut-on exercer sereinement cette fonction, alors-même que, du jour au
lendemain une audition chez le juge peut vous replonger dans le passé de
l’entreprise que vous êtes chargé de contrôler et que vous dirigiez quelques
heures plus tôt ? Les déclarations de la ministre d’alors, témoignaient de son
idée très précise sur l’issue de l’enquête en cours. Martin Ajdari n’avait rien
à se reprocher dans l’affaire Bygmalion, affirmait-elle en substance. Elle
savait alors, ce que le juge lui, ne sait pas encore aujourd’hui. Est-ce bien
là le rôle d’une ministre que de se prononcer sur une instruction en cours ?
Est-ce bien sérieux, est-ce bien prudent ?
Bien que choquant, ceci n’était
que le hors-d’œuvre d’un menu assez indigeste, offrant par la suite, des plats
d’une bien plus grande résistance à l’entendement et à la morale.
En mars dernier, profitant
d’indiscrétions, Le Canard Enchaîné révèle l’affaire du «bureau» du Président
de Radio France. On entre ici dans un train fantôme. La moquette, le palissandre,
l’atonie du CSA, les pressions du ministère, l’enquête frileuse de l’IGF, la
grève la plus longue de l’histoire de la radio, les antennes en pilote
automatique et la sensation pour les auditeurs, les salariés et les
contribuables que personne ne tient la barre, mais que beaucoup s’accrochent à la rampe. Personne
capable de dire le droit, d’imposer la morale ou au moins la bienséance face
aux excuses pathétiques du PDG, aux bilans de ses prédécesseurs, à l’inspection
gênée de l’IGF... Le ministère nomme un médiateur au pouvoir limité, le CSA
reste atone... Comme d’habitude.
Et puis commencent à sortir les
éléments sur l’histoire de la désignation de Mathieu Gallet. La drôle de
campagne avant sa candidature. La drôle de journée de visite de l’INA organisée
pour le CSA, avec la bénédiction de son président selon un conseiller même du CSA.
Le sentiment de certains sages, dans « Le Monde », d’avoir été manipulés...
Pour couronner le tout, Télérama (23/03/2015) met au jour des liens familiaux
entre Olivier Schrameck, lui-même, et le directeur du marketing de Radio
France, un transfuge de l’INA, un proche de Mathieu Gallet. Mais cela ne gêne à
priori personne. Et depuis on en est là. Le PDG, le médiateur, et les
beaux-parents, coexistent sans qu’on sache vraiment qui gouverne, comment, ni
pour quoi faire ?
Pendant cette affaire, le CSA en
préparait une autre, celle de l’élection du nouveau président de FTV. Ou plutôt
l’élection de Delphine Ernotte Cunci; car les éléments qui filtrent à l’issue
de cette séquence, dessinent un simulacre de concours. Un mauvais Vaudeville
écrit à la lueur des chandelles, répété en coulisse et qui devait se jouer sans
public.
33 candidats déposent un dossier.
Certains ont été auparavant plus ou moins encouragés à s’aligner. Le casting
doit avoir fière allure. Ils ne savent pas que les dés roulent déjà. Premier aperçu
au soir de l’établissement de la short-list.
Sept candidats retenus, suppose
la presse, qui n’a aucune communication officielle sur la chose. Parmi eux,
deux candidates n’ont aucune expérience dans le milieu (N. Collin – La Poste –
et D. Ernotte Cunci – Orange), un ne l’a vu que de très loin (C. Beau – Monnaie
de Paris-). Des choix surprenants mais qui apparaissent aberrants, quand on
prend connaissance des recalés du premier rang, parmi lesquels MC Saragosse
(Présidente en exercice de France Média Monde), Emmanuel Hoog (AFP), Alexandre
Michelin (Paris Première, Canal Plus, France 5) ou encore Didier Quillot (ex- Lagardère
Active). Ils ont tous planché et remis des dossiers d’une centaine de pages ou
plus, contre par exemple à peine une trentaine pour D. Ernotte Cunci. Ne même
pas les auditionner est proprement scandaleux au regard des candidats retenus.
Visiblement ils auraient été victimes d’une sorte de vote bloqué, 4 voix
s’opposant systématiquement à leur sélection. Cela ressemble à un véto
télécommandé. Ils ne le savent pas encore mais ils viennent de se heurter au
socle qui portera la nouvelle présidente à la victoire.
La suite vire au drame familial.
Le CSA coupé en deux. Rétifs aux injonctions de son cavalier, la moitié des
conseillers refuse de se rendre et de livrer les clés de FTV sur commande. Ils
résistent toute une journée durant. Pour départager Delphine Ernotte Cunci et Pascal
Josèphe l’autre finaliste, une nouvelle audition est improvisée, avant un
nouveau vote.
On est déjà dans une forme de
télé réalité, qu’on nous promet d’ailleurs, dans un futur proche. Paris bruit
de coups de fils, de rumeurs, d’interventions, de dîners et de déjeuners. C’est
lors d’un de ceux-ci, Monsieur le Président, qu’un de vos proches, un élu, le
jour du dernier vote, aurait fait passer l’ordre à Pascal Josèphe de se rallier
à Delphine Ernotte. Par la suite on apprendra que votre ancien conseiller
audiovisuel aurait aussi fait campagne pour la gagnante, aux côtés de Xavier
Couture (ex-TF1 et Canal +, actuellement Orange) qu’on ne savait pas jusque là
si attaché aux valeurs de l’audiovisuel public.
Selon Le Point, même la CGT
aurait eu droit à son rendez-vous particulier en amont avec l’élue... Voici
donc le résultat, et peut-être pour lui l’intérêt, de la procédure secrète inventée
pour l’occasion par Olivier Schrameck.
Secret des candidatures, secret
des votes, secret des auditions, et au final, suspicion à tous les étages. Avec
comme certitude le slogan de ceux qui savent être nés pour gouverner les nations
et les peuples : ça se tassera... Mais visiblement ça ne se tasse pas. Le CSA
peut compter sur nous.
Votre prédécesseur, Monsieur le Président,
avait forcé l’usage
de la démocratie
en nommant directement les Présidents
des chaînes publiques ; mais au moins, celui de FTV avait-il dû se plier à une audition
publique devant le peuple et les élus. Ici rien, à part un communiqué et un PDF au lendemain de l’élection.
Le CSA, d’habitude
si frileux à sanctionner les chaines fautives, innove pour
le processus de désignation de la personne chargée d’engager pour 2,8 milliards
d’euros d’argent public chaque année, et affiche, l’écran noir ! On est loin de
la transparence que vous nous avez promise. Cette mascarade ne rendra pas non plus
grand service à la nouvelle équipe dirigeante.
Olivier Schrameck n’a donc rien appris
de son crash électoral de 2002, lorsqu’il dirigeait le cabinet de Lionel Jospin
à Matignon. Du Conseil d’État à Matignon, de Matignon au CSA, ou comment passer
sa vie hors-sol, sans jamais devoir faire face aux conséquences de ses décisions, de sa gestion. Depuis, la presse
n’en finit plus
de refaire l’élection,
à coup d’indiscrétions et de comparaisons.
Celles entre le dossier de D. Quillot et celui de D. Ernotte réalisées par L’Express,
et poursuivies par Médiapart, ne manquent pas de sel. De troublantes similitudes
apparaissent en effet. Ailleurs on parle d’injonctions téléphoniques pour faire
basculer la voix qui manquait. Tout peut être démenti et rien n’est totalement faux
puisque tout s’est joué dans l’ombre et dans le dos des Français. Olivier Schrameck
ira même jusqu’à menacer ses conseillers de poursuites s’ils révèlent le secret
des délibérations, des votes, des auditions. Alors même que ceux-ci envoyaient des
sms, téléphonaient le soir etc. C’est pathétique.
Mais que dire de l’attitude de Sylvie
Pierre-Brossolette qui reconnait à demi-mot devant le journaliste de Médiapart qu’elle
aurait joué les entremetteuses pour Delphine Ernotte Cunci, au moins une fois, mais nous ne sommes peut-être pas
encore au bout de nos surprises. Comment dans ce
cas valider une procédure
dans laquelle ceux qui
sont garants de l’impartialité de la procédure, qui engagent
par leurs actes, la probité des présidents des deux assemblées et la vôtre, agissent
avec autant de désinvolture ? Le microcosme « réseauteur » de l’audiovisuel parisien
peut donner l’impression d’être un cocon, mais il n’est pas étanche et de telles
imprudences, si elles devaient se révéler exactes, discréditeraient encore un peu
plus l’institution. Bien sûr, dans une des démocraties nordiques ou anglo-saxonnes
auquel le gouvernement fait souvent référence, ce genre de comportement aurait déjà
été vérifié, et en réalité la personne en cause aurait déjà dû en répondre depuis
longtemps. Qu’il semble loin le temps où cette éditorialiste écumait les plateaux
et donnait dans ses articles le ton sur la contenance que vous, élus, deviez adopter
dans l’intérêt du pays.
Il en va de même
de la déclaration
liminaire, rapportée par Médiapart,
qu’Olivier Schrameck aurait faite avant le
premier tour, déconseillant de voter pour
des candidats déjà en poste, désignant
nommément Marie-Christine Saragosse de fait comme non- sélectionnable.
Encore une fois, si un tel comportement est avéré, il ne manquera pas de choquer
la morale et de démontrer que le costume est bien trop grand pour celui qui l’enfile
car, penser que ce genre de propos peu rester dans les secrets des délibérations,
relève d’une confondante naïveté. Et donc, osons violer le tabou à propos d’un conseiller
d’état, d’une certaine incompétence.
En attendant, au sortir de cette élection,
on en sait encore beaucoup moins sur ce qui attend France Télévisions, ses téléspectateurs-contribuables
et ses salariés, que lors de la nomination de Rémi Pflimlin en 2010.
C’est un comble !
Pour la transparence on repassera. Simplement on apprend dans le dossier
de notre nouvelle présidente, qu’elle nous
promet l’arrivée de la téléréalité – ouf ! enfin !- et que selon Médiapart elle
nourrirait une forme d’aversion pour le journalisme qui dérange (c'est-à-dire en
fait, le journalisme). Elle citerait volontiers, toujours selon le site, Cash Investigation
comme une émission qui n’a pas sa place sur le service public. Voilà donc qui
nous promet des débats d’une grande portée et sans doute pour elle quelques ennuis
si, ces propos sont mis en œuvre. Mais voyez-vous,
Monsieur le Président,
ceci nous n’avons
pas pu le vérifier car contrairement à son prédécesseur Delphine Ernotte
Cunci, n’a jamais défendu son projet en public. Le CSA a donc réussi à vous faire
endosser une procédure de désignation à la présidence de France Télévisions, beaucoup
plus opaque que du temps de Nicolas Sarkozy. Un tour de force !
Tant de zones
d’ombres, de silhouettes, d’entorses à la morale
et aucune réponse ? Aucune investigation
pour lever les doutes ? Vous qui avez nommé son président, avec pour mission première,
de clarifier la régulation de l’audiovisuel public, pouvez-vous laisser le CSA s’enfoncer
dans la glaise des affaires, de la rumeur, de la suspicion sans rien faire ? La
très récente vente de la
chaine Numéro 23 montre bien que les règles sont faites pour être
adaptées aux circonstances et aux personnes. Et que l’alternance ne concerne
pas l’audiovisuel. Ici encore, on y trouve
des intérêts qui ne sont pas que philosophiques car l’affaire dépasse les 80 millions
d’euros.
Dans la poussière de ces tristes affaires
on en oublierait presque Agnès Saal et ses taxis! Encore une fois on découvre une
manageuse qui prône la rigueur pour tout le monde sauf pour elle et sa famille.
Une femme revendiquée de gauche qui recase, « fait le ménage » à l’INA pour placer
des collaborateurs proches. Encore quelqu’un
qui nie le passé de
l’entreprise, comme si rien n’avait existé avant. Elle aurait des amitiés parmi
la tendance frondeuse du PS comme le
souligne le JDD.
Il n’est pas
toujours facile de
mettre en adéquation les grandes idées et les petites
pratiques. Le ministère est intervenu rapidement, poussant Agnès Saal à la démission. Cela commençait
à faire beaucoup.
Voilà donc, Monsieur le Président
de la République, dans quel état est l’audiovisuel public aujourd’hui. Copinage,
opacité, intrigues, groupes de pression. Triste bilan dont vous avez certes hérité
en partie mais que votre bras armé s’est montré impuissant à corriger. Cependant
nous ne sommes pas naïfs, tout ceci n’est pas sans finalité. Car dans une période
économique tendue, les 2,8 M€ de FTV, ne laissent pas indifférents. Et votre ennemie
« la finance », n’est peut-être pas loin.
Xavier Couture, le revoilà, plusieurs
fois cité comme un proche de Delphine Ernotte Cunci, est le signataire d’un manifeste
de l’institut Montaigne. Il a co-rédigé un rapport sur l’avenir de la production
audiovisuelle française avec 10 propositions dont la dixième, comme un aboutissement,
est de « donner un objectif à France Télévisions de consolidation
de l’industrie » audiovisuelle. En somme, aider les gros producteurs à devenir plus
gros avec l’argent public, pour produire et vendre à l’étranger des émissions de
flux, entre autres de la téléréalité à la française, financée par et testée sur
France Télévisions. Quel beau programme de gauche ! Que ce genre de personnage,
se retrouve dans l’entourage proche de la nouvelle présidente de France Télévisions,
elle-même encensée par le CSA, ne nous paraît ni très moral, ni au service de l’intérêt
général. Qu’un aréopage de vos proches, d’ex-conseillers, d’élus de gauche, aient
soutenu cette démarche, même de manière indirecte, à travers une candidature, nous
semble totalement contre nature.