Quel animateur a-t-il pu avoir l'incroyable idée d'organiser un dîner d'animateurs de France télévisions destiné dire du mal des dirigeants de France télévisions ? L'information a été révélée il y a quelques jours, et mieux encore, confirmée par la direction de France télévisions elle-même !
Oui, chose jamais vue dans l'histoire de la télévision publique, un animateur vedette de la chaîne a fomenté un "coup d'état" contre la direction de France télévisions en complotant un dîner de vedettes.
Ce dîner était destiné à "faire un point sur la direction de France télévisions, la situation des chaînes et échanger sur la compétence des responsables, de Philippe Vilamitjana à Bruno Patino et Rémy Pflimlin". Un putsch ?
Une direction en difficulté
Un dîner de complot entre animateurs ? Même dans l'ORTF en grève de 1968 on n'avait jamais vu une telle initiative. C'est tout simplement hallucinant. Le simple fait qu'un animateur de la chaîne ait pu concevoir et initier pareil processus en dit long sur l'état de l'autorité du président Rémy Pfimlin.
Ces dernières semaines, quelque chose s'est passée qui provoque une onde de choc dont les répercussions peuvent déboucher sur une crise aussi grave que celles vécues par France télévisions en 1990 ou 1996.
La révélation de ce dîner à vocation quasi-putschiste entre animateurs vient couronner une quinzaine cauchemardesque pour les responsables de la télévision publique. Tout s'enchaîne et se propage comme si l'affaire de l'émission de Sophia Aram avait déclenché une série de chocs collatéraux qui met à jour, dans tous les secteurs, les faiblesses de France télévisions, et au premier rang d'entre elles tous les choix, oui, tous les choix, sans exception, de ses dirigeants.
Ce n'est plus seulement l'attribution d'une émission sans concept présentée par Sophia Aram qui est contestée parce que contestable, mais tous les aspects de la politique des dirigeants de France télévisions : grands choix économiques, orientation des programmes, gestion sociale de l'entreprise...
Tout est contesté, tout sera discuté.
Une accumulation de mauvaises nouvelles.
L'effet d'accumulation de mauvaises nouvelles qui met en difficulté la direction de France télévisions est accablant.
C'est la révélation par "Le Canard enchainé" que 100 millions d'euros ont été déboursés lors de la mise en place de l'entreprise commune France télévisions, dont rien que 660.000 euros à un cabinet de conseil pour le "suivi de la réforme".
Certes, ces errements sont imputables à l'ancienne présidence du groupe, celle de Patrick de Carolis (qui continue pourtant de compter parmi les animateurs vedettes du groupe qu'il présida), mais l’exécution de ces contrats s'est poursuivie sous la présidence Pfimlin. La fusion devait susciter l'économie de 65 millions dès 2012, et près de quatre fois plus les années suivantes, mais, à l'arrivée, elle en coûte plus de 100 ! Gabegie ?
C'est l'annonce, dans un document remis aux syndicats de France télévisions, d'un trou monstrueux dans les recettes publicitaires. Les moyens du groupe "à horizon 2015, se trouveraient en retrait de 300 à 350 millions d’euros, soit de l'ordre de 10% de ses ressources brutes". Si l'on en croit certaines sources, notamment syndicales, c'est même un effondrement des ressources publicitaires qu'il faudrait redouter pour 2014 et 2015.
C'est la présentation d'un plan de réduction des effectifs, 361 postes au total, qui ne peut que susciter angoisse et inquiétude chez les salariés du groupe qui assistent, par ailleurs, depuis des années, à des investissements désastreux pour les recettes publicitaires et détruisent l'image des chaînes, semblables à celui effectué sur l'émission de Sophia Aram.
D'un côté, des producteurs qui vendent des émissions à 70.000 euros l'unité, anesthésient l'audience et font fuir les publicités, et de l'autre, des salariés de chaînes publiques doivent consentir à plus en plus de sacrifices. Point besoin d'être un expert en sciences sociales pour augurer que, si les choses demeurent en l'état, cela ne peut que déboucher sur une crise grave.
C'est enfin une rumeur persistante qui fait dire, partout dans le petit monde de la télévision, que le directeur des programmes de France 2, Philippe Vilamitjana, est "sur le départ", ce qui constituerait l'aboutissement de la lutte invisible qui l'opposerait à Bruno Patino, numéro 2 de France télévisions, depuis un an et demi. Et comme la direction de France télévisions ne confirme ni n'infirme cette information, la rumeur court, court, court, court...
Une dilution des responsabilités
Ce mercredi, sur Europe 1, dans l'émission "Le Grand Direct des médias", on pouvait entendre deux journalistes spécialistes du monde de la télévision (Gaëlle Placek, de "Télé Loisirs", et Renaud Revel, de "L’Express") tenir des propos d'une extrême sévérité sur la direction de France télévisions. Durant cette émission, voici ce que l'on pouvait entendre :
"On se demande par qui est dirigé cette maison ?",
"la faute à Rémi Pflimlin",
"Cette entreprise se dégrade à vitesse grand V",
"ils sont à côté de la plaque et surtout des téléspectateurs",
"ils ont perdu le sens de la télévision",
"ce bloc de l'access (avec Sophia Aram) n'est pas une prise de risque intelligente !",
"est-ce que les bons hommes sont aux bonnes places ?",
"ça manque de talents !"
etc...
Il y a neuf mois, le président Pfimlin a congédié un certain nombre de responsables du groupe. Afin de donner au système une apparence d'unité et de cohérence, il a élevé le directeur de France 5, Bruno Patino, à la même fonction que celle qu'occupait Patrice Duhamel sous la présidence de Carolis.
À France télévisions, certains initiés racontent que pour accepter cette fonction périlleuse, Bruno Patino, qui avait pris conscience de la tendance culturelle forte de la machine France télévisions à l'inertie et à l'immobilisme, avait même demandé des "pouvoirs dictatoriaux".
Le président Pflimlin aurait acquiescé à la demande, nommé Patino dans la foulée, mais n'aurait rien fait par la suite pour que son vice-président de fait puisse jouir de ses désirés "pouvoirs dictatoriaux".
Et de continuer à cumuler des structures, des fonctions, des titres, des comités, des directions, des secrétariats généraux et moins généraux, des conseillers à la présidence, des directeurs, des adjoints aux directeurs, des directeurs délégués, des conseillers de programme... Dilution des responsabilités, donc dilution des culpabilités en cas d'échec...
Mais à France Télévisions, en période de crise majeure, le serpent finit toujours par se mordre la queue.
Vers une crise majeure ?
La dilution des responsabilités protège, un temps, des mises en accusation. Puisqu'il est impossible de trouver un responsable, il ne peut y avoir de coupable. C'est une tactique vieille comme l'ORTF. Ne pas bouger. Ne rien dire. Ne rien faire. Attendre la fin de l'orage.
Depuis le début de la tourmente initiée par l'affaire de l'émission de Sophia Aram, c'est la tactique que les dirigeants de France télévisions ont adopté. Silence radio sur l'état de la télé publique.
Cette position, qui consiste à "faire le gros dos", peut-elle être tenue longtemps ? La réponse à cette question réside dans les leçons que l'on peut tirer des leçons de l'histoire de France Télévisions. En vérité, tout dépendra de l'ampleur que peut prendre la crise qui est en train de naitre sous nos yeux.
Quand une crise de très grande intensité éclate au sein de la télévision publique, quand une étincelle enflamme un édifice fragile, vient toujours le moment où l’État, via le CSA, via le gouvernement, prend ses responsabilités et décide que tout le monde est responsable, donc coupable. Et quand vient ce moment, l'issue est toujours la même : tout le monde saute.
Qu'on ne s'y trompe pas, si un animateur en est venu à concevoir le projet d'un dîner de vedettes façon meeting, "on va parler dans le dos de Rémy Pfimlin, Bruno Patino et les autres", c'est qu'il connait lui aussi le fonctionnement des crises à France Télévisions.
Mais au fait, quel est le nom de cet animateur ?"
Taratata...que l'auteur ne nous dise pas qu'il ne connait pas la réponse !