Comptes sociaux 2015 de France Télévisions SA : auto-félicitations sur fond
de déni des réalités et dissimulation d’une catastrophe annoncée.
Alors que les comptes sociaux 2015 de France Télévisions n'ont jamais été
aussi difficiles à obtenir et après bien des tentatives pour bloquer ou du moins
retarder leur diffusion, il apparaît
maintenant, à la lueur des documents enfin en notre possession, que les
informations qu'ils recélaient étaient non seulement de la plus haute
sensibilité pour l'équipe Pflimlin mais surtout très « problématiques » pour l’ex Orange qui voulant hâter le
lancement de cette nouvelle chaîne d'info publique en continu, chante sur tous
les toits que « l’équilibre est [serait] de
retour en 2015» en plein contexte pourtant d'effondrement de
l'entreprise publique.
Alors même que les instances
représentatives du personnel n’étaient comme de coutume informés qu’a minima
voire pas informés du tout, que le document fourni le 15 avril dernier aux
administrateurs de France Télévisions en toute confidentialité ne leur était
toujours pas communiqué comme la loi le prévoit pourtant – histoire
probablement de laisser France Télé se gargariser de la soi-disant « bonne situation » dans une campagne d'auto-satisfecit
concernant sa gestion et surtout sur
fond de lamentation générale à l'égard des Tutelles donc in fine du
contribuable – ces documents dont le
blog CGC Média a été destinataire, ne font que confirmer la situation de
quasi faillite dans laquelle se trouve l’entreprise.
Le blog CGC Média dont l’information qu’il donnait dès le 1er
juin dernier dans son article « L’ex
Orange va dégrader la qualité de diffusion de France Ô !...un bien piètre
signal envoyé aux outre-mer ! » vient
d’être confirmée par Le Figaro de ce jour, publie donc son article sur le jour
même où le quotidien rend publique le lettre au CSA d’Audrey Azoulay qui a
succédé à Fleur Pellerin au ministère de la Culture et de la Communication,
préemptant une fréquence de la TNT pour la chaine d’info en continu dégradant donc de fait le signal de
réception de France Ô, rétrogradant la chaîne en SD.
Comme le blog CGC Média dont
Romain Laleix,
conseiller chargé de l'audiovisuel et du cinéma auprès d’Audrey Azoulay depuis
le 29 février 2016, ne cesse dire le plus grand bien dans
les dîners en ville à tel point que cette sollicitude est enfin parvenue à nos
oreilles, l’avait clairement
expliqué dans son post « L’ex Orange a donc tranché, c’est France Ô dont
la qualité sera nettement dégradée au sein du multiplex de France Télévisions.
Eh oui, il va bien falloir faire tenir 6 chaines dans 24 Mb/s…bonjour la
qualité ! »
Le Figaro indique « Audrey Azoulay demande parallèlement [à la préemption d’une
fréquence TNT pour la chaine d’info continu, ndlr] que France Ô en métropole, passe
également en basse définition à compter du 1er septembre, en raison
de la rareté des ressources. En clair, pour que la chaîne d'info
du service public puisse exister, il faut absolument pousser les meubles au
sein du multiplex R1 dédié au service public, afin de libérer de l'espace sur
la bande passante. » CQFD
« En
raison de la rareté des ressources » tient
à préciser Audrey Azoulay; voilà qui est intéressant et nous fournit une transition idéale avec ce qui va
suivre : l’analyse des comptes sociaux de France Télé bien éloigné de
l’angélisme affiché par celle qui poussait dehors Pflimlin nommé depuis
conseiller d’État par François Hollande.
Pflimlin qui comme Ernotte avait entonné
en son temps la même chanson "Ils tapent sur les Tutelles et ça leur
va bien"….ça donne à peu près cela :
"Nous avions pourtant bien géré,
mais le COM nous a tant pressuré,
qu’a la fin de l'année, nous avions trop dépensé"
"ha ! si seulement, on nous donnait plus"
"ha ! si
seulement, on nous écoutait plus"
Cette belle chanson a évidemment été écoutée avec la plus grande
bienveillance depuis le balcon de l’Élysée ou de Bercy puisque finalement, il semble bien que les poches des
contribuables alimenteront encore un peu plus le financement de l'entreprise
avec une rallonge de 189 M€ en 2016. Oui 189 M€ !
En plein contexte de soi-disant restrictions budgétaires et tentatives de
contrôle du budget (déficitaire) de d’État, c’est bon ça ?! Pas sûr que cela
fasse un tube au hit- parade pour autant !
Qu'en est-il vraiment
des comptes 2015 de France Télévisions ?
Cela fait quasiment 5 ans que le blog CGC Média tire la sonnette
d’alarme et attire l'attention sur la pente catastrophique que suit
l'entreprise.
En 2010, lorsque M. Pflimlin a pris les manettes de France Télé, sa
nomination par Nicolas Sarkozy avait été particulièrement décriée. Il laissait Presstalis, entreprise qu'il
venait de quitter en situation de quasi-faillite.
Les inquiétudes de beaucoup d’analystes dont nous sommes, étaient donc
fondées car à peine un an après sa nomination nous alertions déjà sur la
situation financière et éditoriale de l'entreprise.
Nous annoncions un
effondrement des recettes publicitaires, une explosion des dépenses générales,
une gestion déplorable du stock de programmes, et surtout un recul de
l'activité interne au profit des sociétés de productions extérieures.
Cette conjonction de
situations aboutissant fin 2011 à déficit inédit et record dans l'histoire de
France Télévisions. Nous alertions également alors sur une possible perte de 70 millions
d'euros pour l'année 2011.
Or, malgré plusieurs
plans de départs dits volontaires (au moins 3), un plan de licenciement rampant
et déguisé des non permanents et un gain de près de 130 millions d'euros lié à
la disparition de la diffusion analogique, l'entreprise a vu néanmoins croître
ses dépenses de fonctionnement et a creusé un déficit de près de 220 millions
d'euros en 5 ans !!!
Comment est-ce possible nous direz-vous ?
Il convient donc revenir à 2010 au moment où Pflimlin prend la tête de
l'entreprise.
Carolis son prédécesseur
renvoyé aujourd’hui en Correctionnel par le juge Renaud Van Ruymbeke, lui laisse une
situation confortable : un excédent de
trésorerie supérieur à 200 millions d'euros et près de 500 millions de capitaux
propres.
Un nouveau plan de départs est alors engagé devant théoriquement générer 100 millions d'euros d'économies par an
et ce s’joutant à la perspective de l'extinction de l'analogique devant générer
130 millions d'euros d'économies par an.
Pflimlin part donc d’une situation d’apparence saine assortie de
perspectives plutôt favorables. Las, c'est un tournant bien différent que va
prendre l'entreprise, en décuplant les
niveaux hiérarchiques, en nommant à tire-larigot avec de conséquentes augmentations
certains placés là par relations, copinage, népotisme ou jeu politique, en concédant
des contrats mirifiques sans appel d’offres à de nombreuses boîtes
« amies » - confère le
scandale Bygmalion dont le procès pénal pour le volet audiovisuel devrait
arriver en pleine campagne présidentielle - ou des sociétés de conseils
grassement payées, telle Bain, comme l'a révélé « Le canard enchainé »
dans son article sur les 100 millions
d'euros claqués en réorganisations….en multipliant également les cadeaux à des sociétés de productions
chouchoutées par le management, le pouvoir ou la rue de Valois !
L’accumulation d’erreurs
stratégiques a précipité l'audience à des niveaux jamais atteints. S'en est suivi un jeu
de chaises musicales à la direction de France 2 où pas moins de 5 directeurs
ont valsé, dégringolade après
dégringolade de l'audience.
Mais le plus surprenant
a été la constance du déni de réalité de l'équipe Pflimlin-Papet-Ajdari puis à présent de la
suite Ernotte-Sitbon-Gomez-Lacroix (ce dernier exfiltré vers l’AFP et remplacé
par François Vion) :Refusant
d'admettre les pertes d'abord, puis refusant ensuite d'admettre la perspective
inquiétante dans laquelle était placée l'entreprise.
Cette attitude de dénégation constante et d’habillage permanent mâtiné
d’autosatisfaction permanente que nous
avions dénoncées – pas que nous les deux rapports de la député PS Martine
Martinel ne disaient pas autre chose notamment lorsque les budgets présentés l’étaient
de façon « insincère», n'ont malheureusement conduit à aucune correction ou sanction de la part
des Tutelles.
Nous en sommes donc réduits au pouvoir de constat. Après avoir alerté, et
fait de sombres prévisions, il n'est rien de plus regrettable que de nous
apercevoir que nous avions 100 fois raisons.
Comment ne pas être écœuré
de la triste réalisation de nos prévisions, par les manœuvres de présentation
édulcorées des documents communiqués par la direction ou par les cabinets
extérieurs missionnés qui pour l'occasion diront tout e bien qu’ils pensent du
travail accompli et dont la sémantique réplique à merveille celle de France
Télévisions.
Découvrez ce qu’écrit par exemple le cabinet Sécafi Alpha missionné à
nouveau par une majorité cégétiste au CCE pour les comptes 2015 (page 17 de son
rapport toujours confidentiel)…Attention ça
décoiffe :
« Un autre sujet concerne à la fois
l’organisation et la transformation numérique et qui revient comme une antienne
dans les entreprises de services qui porte la transformation, l’individu en
face des algorithmes ou le groupe poly-compétent?
Notre conviction supportée par des observations
récentes nous incline à penser et à suggérer que les conduites du changement
des transformations permanentes poussées par des évolutions algorithmiques
seront réussies à partir d’une logique de groupe. »
Quel constat donc en 2015 ?
Après 5 ans de Pflimlin aux manettes, les chiffres sont accablant :
- 218 millions d'euros de
pertes cumulée inscrites au passif.
- Des capitaux propres qui
ont fondu de 226 millions d'euros, passant de 496M€ fin 2010 à 270 M€ fin 2015
- Une trésorerie positive
de 208 M€ en 2010 passant à un trou de 134 M€ en 2015, financé par recours à
l'emprunt auprès d'établissements financiers.
- Un effondrement de l'audience
et des revenus publicitaires avec chaque année des prévisions de recettes irréalistes
et/ou insincères, conduisant à un recul de la pub de près de 120 M€ en 5 ans.
L'année 2015 ne déroge pas à la règle avec un recul de l'espace classique de 13M€ et un recul de 14M€ du parrainage, par
rapport au budget 2015 présenté fin 2014 (que nous avions dénoncé, encore
une fois, comme étant irréaliste)
Des charges de personnel
en constante augmentation, plus de 80 millions d'euros de hausse en 5 ans,
malgré les plans de départ successifs de permanents, plus un plan de départs
des non-permanents qui ne dit pas son nom.
Des charges accrues liées aux surcouches administratives et managériales de
Pflimlin, mais aussi à une explosion de la
politique d'externalisation opérée au détriment de la production interne,
conduisant à une hausse de plus de 130
millions d'euros du coût des programmes achetés.
Tout ceci concourt maintenant à un résultat courant oscillant, année après
année, entre - 55 millions d'euros et -
80 millions d'euros.
Qui pourrait croire dans ces conditions que tout va bien ? Même si ces
chiffres sont déjà assez noirs, il est à redouter que la réalité soit encore
bien pire…que des charges ne soient pas
encore traduites dans les comptes avec par exemple des investissements annulés
ou reportés aux calendes grecques.
Quand on sait que
certaines charges dépendent en partie de l'appréciation de la valeur du stock
de programmes... et que l'entreprise évalue elle-même son stock, comment croire
en ce cas que la valeur du stock de programme est sincère ? Quand budget après
budget, l'entreprise a fait montre d’un manque de sincérité évident puisqu’aucun
budget n'a été respecté ? Pire, particulièrement
lorsque l'entreprise a nié les risques de pertes alors que nous les dénoncions?
Comment croire que le
stock de programme s'est moins déprécié en 2015 qu'en 2014 (-45 M€) alors même
que l'entreprise a enchaîné les nanars et les annulations de programmes en 2014
?
Comment croire à la
sincérité de ces chiffres quand l'entreprise niait il y a peu encore l'ampleur
des pertes révélées ici (qui figurent sur les documents France Télé) ? La situation serait cocasse si elle
n’était pas gravissime.
Cette diminution de provisions est quelque peu contredite d’ailleurs par
l'analyse de Secafi Alpha, pas forcément
enclin à égratigner les dirigeants en place qui pour essayer de noyer le
poisson introduit dans son rapport page 10 un curieuse notion de "stock "vivant" qui pour France
2 est en baisse de 41M€ ?
Est-ce à dire qu'il y aurait
un "stock mort" ?
La logique de cette
phrase semble indiquer que ce "stock
mort" serait logiquement en hausse, vu que l'approvisionnement est en
hausse et donc que le "stock vivant"
est en baisse.
Là encore, un manque de
concordance, entre les éléments présentés et la réalité des charges calculées
sur la dépréciation du stock.
Bien évidemment, une sous-évaluation des dépréciations, permettrait de
masquer l'ampleur des dégâts et in fine, des pertes réelles causées par la
gestion de l'équipe sortante. Faut-il plutôt parler
d'une perte réelle pour 2015 de -60M€ au lieu des -13M€ annoncés ?
Il n’y a pas loin à
imaginer que les capitaux propres soient encore plus diminués qu'ils ne le sont
ce qui conduirait à une recapitalisation de l'entreprise et un énième plan de
départs ? Mais chut ! Il ne faut pas en parler maintenant…pas avant l’été 2017.
Il convient également de
remarquer que ces comptes n'intègrent pas l'effort de renouvellement non
réalisé face à la HD, que les programmes toujours diffusés en SD sur des
multiplexes HD sont maintenant très visibles et montrent au téléspectateur une
bien piètre image de la qualité de programmes offerte par France Télévisions,
avec l'argent de ses impôts….et ça ne va pas s’arranger avec l’annonce d’Audrey
Azoulay sur la dégradation pour France Ô.
Personne ne pourra dire « je ne savais pas ». Tout cela se voit et
ne fait que mettre en danger chaque jour un peu plus, l'avenir de cette
télévision publique payée par nos impôts mais devenue terrain de jeu privilégié
ou d’expérimentations servant les intérêts de tels ou tels, bien loin de
l’intérêt collectif qui est pourtant son unique objet !
Le personnel est sans
cesse mis en danger par l'externalisation et l'arrêt de l'activité interne, la
pérennité de l'audience est menacée par les changements intempestifs et
maladroits opérés par Pflimlin et aujourd’hui l’ex Orange.
Tout cela conduit évidemment à un extrême pessimisme, notamment au vu des
notes explicatives de la situation qui méritent ici d'être citées, et qui montrent
l'état de délabrement mental dans lequel ont sombré lesdits managers de
l’entreprise.
Laissons pour rire un peu dans ce pessimisme ambiant, le mot de la fin à
Audrey Azoulay qui dans
sa lettre de 2 pages à Olivier Schrameck semble découvrir que « L'une
des missions principales de la télé publique était en effet d'informer le
public » - ce qu’elle ne devait pas faire avant, à la lire ! - mais « qu’en
préemptant «à titre prioritaire», un canal hertzien «en définition standard» (cette
ressource radioélectrique comme elle l’appelle) pour la nouvelle chaîne
d'information en continu du service public à compter du 1er septembre prochain »,
l’info n’a pas de prix…