Inutile
lobbying de France Télés auprès de plusieurs ministères pour défendre un
calamiteux bilan sur fond d’instruction judiciaire.
Après que « Le
Canard enchainé » de ce mercredi 7 février ait sorti une demi-page
sous-titrée « Après l’ouragan Gallet, la tempête Ernotte se
rapproche - Dernier bulletin météo : débarquement de flics au
CSA et convocations des sages… », Médiapart qui avait
publié un dossier de 12 pages particulièrement étayé au lendemain du parachutage
de l’ex Orange à France Télés,
remet le couvert.
Dans un article intitulé « France Télévisions: la
justice relance le scandale Ernotte », le site d’infos en
ligne évoque à son tour l’instruction judiciaire en cours concernant
les conditions de « La greffe cathodique d’une ingénieure de la
téléphonie vers l’audiovisuel faite à la surprise générale et qui n’a jamais
vraiment pris » (comme l’écrivait hier le journal suisse « Le Temps »)
Pendant ce temps-là le pitoyable mais
inutile lobbying qu’exerce France Télés auprès de plusieurs ministères tentant
de mettre en avant un bilan pourtant calamiteux, bat son plein…n’ayant de toute
façon pas la moindre chance d’aboutir.
L’arbre supposé cacher la forêt largement
menacée du reste (cf le rapport de 212 page de la Cour des comptes qui qualifié
« d’impasse » la situation de France Télés) ne suffira pas à stopper
la machine qui est lancée et encore moins l’instruction judiciaire en cours
suite à une plainte déposée en juillet
2015 (non, non, vous ne rêvez pas) par
le SNPCA-CGC et la CFDT Média.
Que ceux qui ont mis et mettent encore
l’indépendance
et la transparence à toutes les sauces pour justifier les options catastrophiques prises ces dernières
années en matière d’audiovisuel public lisent donc l’excellent papier de
Laurent Mauduit.
Extrait :
« L’audiovisuel
public connaît de nouvelles turbulences : la
police judiciaire enquête sur les irrégularités, révélées par Mediapart…
Décidément,
les scandales se suivent et se ressemblent au sein de l’audiovisuel public.
Quelques jours à peine après la révocation par le Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA) de Mathieu Gallet de son poste de PDG de Radio France,
consécutive à sa condamnation pour « favoritisme » (lire notre parti-pris :
Pour une véritable refondation de l’audiovisuel), c’est au tour de son homologue
de France Télévisions (FTV), Delphine Ernotte, et du même CSA d’être happés dans de violentes turbulences.
Car,
même si l’affaire a longtemps traîné, l’enquête
judiciaire s’est soudainement accélérée sur les irrégularités
innombrables qui ont accompagné la désignation au poste de PDG de FTV.
Perquisition, auditions de nombreux témoins, dont tous les
membres du CSA : l’affaire prend visiblement une
tournure embarrassante, la justice
s’étant enfin donné les moyens d’essayer de faire le jour sur les manigances
qui ont accompagné cette procédure de désignation.
C’est
une enquête de Mediapart qui est à l’origine de toute l’histoire. Nous avons en effet révélé le 16 mai 2015
les très nombreuses irrégularités qui avaient accompagné la désignation par le
CSA quelques jours plus tôt, le 23 avril précédent, de Delphine Ernotte…
Intrigues
dans les coulisses du pouvoir, pillage par Delphine Ernotte du projet de l’un
de ses rivaux grâce au débauchage de l’un de ses soutiens, intervention d’un
membre du CSA pour aider l'impétrante à rencontrer François Pinault, de sorte
que celui-ci plaide sa cause auprès de François Hollande, procédure hallucinante
de vote au sein du CSA agrémentée de nombreuses pressions… Tout s’est combiné
pour que Delphine Ernotte, soutenue par des conseillers de l’Élysée, soit
adoubée par le CSA, autorité pourtant supposée indépendante.
En
clair, de nombreux indices ont sur-le-champ suggéré que cette désignation avait
été polluée par de puissants lobbys, proches du pouvoir.
À
ces indices que nous avions recueillis peu après la désignation de Delphine
Ernotte, d’autres sont d’ailleurs venus s’ajouter par la suite. Denis
Pingaud, le chargé de communication qui a fait la campagne de Delphine
Ernotte (et qui a aussi accompagné Mathieu Gallet à l’INA, puis à Radio
France), ne cache ainsi plus sa
proximité avec Gaspard Gantzer,
qui était le conseiller médias de François Hollande à l’Élysée : les deux amis
viennent de créer ensemble une agence de communication baptisée « 2017 ». Tous
deux se sont visiblement fait la main en faisant secrètement la campagne de
Delphine Ernotte ; et les voici aujourd’hui qui se lancent publiquement dans le
grand bain…
C’est
donc à la suite de la mise en ligne de notre article que le syndicat CGC des
médias (à l’origine de la révélation du volet France Télévisions du scandale
Bygmalion), bientôt rejoint par la CFDT de France Télévisions, a décidé de
porter plainte, en motivant en grande partie sa requête par notre enquête.
Mais
dans un premier temps, la procédure n’a pas prospéré : une enquête préliminaire a vite été classée. Sans se décourager, les
deux syndicats ont donc de nouveau déposé plainte, avec constitution de partie
civile. Et du même coup, le parquet a été dans l’obligation d’ouvrir
longtemps plus tard, en mars 2017, une information judiciaire, qui a été
confiée au juge d’instruction Milca Michel-Gabriel.
C’est depuis la saisine de cette magistrate que l’affaire a
véritablement été relancée et que les actes d’instruction se
sont multipliés. Selon Le Canard enchaîné
de ce mercredi 7 février, (*) les policiers de l’Office central de
lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)
sont ainsi venus le 20 décembre dernier frapper à la porte du CSA.
L’hebdomadaire précise qu’il ne s’agissait pas d’une perquisition en bonne et
due forme mais seulement d’une « demande de documents administratifs relatifs à
la procédure de nomination » du 23 avril 2015. La nuance semble toutefois minime car les policiers, qui ont agi sur
commission rogatoire de la magistrate,
seraient repartis avec des cartons entiers de documents.
(*) Extrait
Visiblement,
les mêmes policiers souhaitent également entendre de nombreux acteurs ou
témoins de cette histoire. Comme nous le précisons dans la boîte noire
ci-dessous, nous avons nous-mêmes été entendus par les policiers de
l’OCLCIFF, qui veulent essayer de reconstituer toutes les irrégularités
qui auraient pu être commises avant les trois votes du CSA, puis lors de ces
trois votes.
Selon nos informations, tous les membres du CSA, en fonction à l’époque, ont
également été entendus par les mêmes policiers, ou le seront dans les prochains jours.
Au
CSA, il se murmure également que certains des candidats qui étaient en lice
pour le poste de PDG et qui ont été bernés sans le savoir dans l’affaire, ont
été entendus ou le seront dans les prochaines jours. Ce devrait être notamment
le cas de Didier Quillot et de Pascal Josèphe qui, avec Marie-Christine Saragosse, ont été les trois poids lourds
victimes de cette pantalonnade.
L’affaire prend donc très mauvaise tournure, tout à la fois
pour Delphine Ernotte et pour Olivier Schrameck, le président du CSA.
Pour Delphine Ernotte, cela coule de
source : contestée sans cesse en interne, à l’origine de crises en cascade et
de motions de censure à répétition, elle pouvait au moins espérer que la page
sulfureuse de sa désignation soit tournée. Mais l’enquête
judiciaire risque de saper encore davantage son autorité et surtout sa
légitimité.
L’affaire est tout aussi embarrassante
pour le CSA et son président.
D’abord parce que la procédure de vote
qui a eu lieu a été surréaliste – comme nous l’avions raconté – et a contribué
à ce que des poids lourds du secteur qui étaient candidats ne soient pas même
entendus par le collège. Ensuite parce que des témoignages que
nous avions évoqués à l’époque – et dont Le Canard fait aussi état aujourd’hui
– suggèrent qu’Olivier Schrameck a exercé des
pressions, notamment sur un membre du collège du CSA, Francine
Mariani-Ducray, issue comme lui du Conseil d’État, pour qu’elle vote
en faveur de Delphine Ernotte, ce qu’elle ne voulait pas faire initialement, et
ce qui a finalement fait pencher la balance dans le sens souhaité…
Le
Canard dit même que le vice-président du
Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, serait lui-même
discrètement intervenu pour que Francine Mariani-Ducray vote dans le bon sens –
ce qui correspond aux informations que
nous avions également recueillies à l’époque.
L’audition des membres du CSA revêt
une importance particulière car, à l’époque, certains d’entre eux, scandalisés
par ce à quoi ils avaient assisté, nous avaient dit que le secret des
délibérations leur interdisait de dire ce qu’ils savaient. Mais ils nous
avaient indiqué qu’ils seraient naturellement libres de leur parole si un jour
la justice était saisie. »
Extrait:
"La
suite de l'histoire est encore floue. Olivier Shrameck a-t-il convoqué
successivement Mémona Hintermann-Afféjee et Francine Mariani-Ducray pour leur
demander de changer leur vote ?
Cette dernière, membre du Conseil d'État, a-t-elle
reçu un coup de téléphone de Jean-Marc Sauvé, son vice-président, pour lui
demander, non pas de voter pour Ernotte, mais de «trouver une solution
permettant de sortir de l'impasse»?
Le
journaliste qui place cette phrase entre guillemets, d’ajouter qu'"il faudrait qu'une des plaintes aboutisse à une
enquête pour connaître le réel déroulé des faits"...
C’est à présent chose faite.
Les répercussions pourraient bien
évidemment être multiples et particulièrement dévastatrices comme le laisse
entendre Médiapart qui poursuit :
« Et
puis, pour Olivier Schrameck, il y a plus grave.
Dans
le cas de Mathieu Gallet, il n’a eu en effet d’autres choix que de le révoquer
après sa condamnation pour favoritisme – mais par ricochet, cela souligne à quel point il avait fait un
choix contestable en portant ce haut fonctionnaire à cette fonction, pour
laquelle il ne disposait d’aucune compétence.
Et dans le cas de Delphine Ernotte, le
naufrage d’aujourd’hui est en grande partie la conséquence des choix ubuesques
du président du CSA.
En
résumé, le naufrage des deux principaux piliers de l’audiovisuel public, Radio
France et France Télévisions, c’est au CSA et d’abord à son président qu’on les
doit.
Autrement
dit, le gendarme de l’audiovisuel est le premier responsable de cette situation
de chaos. »