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jeudi 17 novembre 2011

Lisez "De flops en succès: où va France Télévisions? " publié dans "Les Inrocks"

De flops en succès: où va France Télévisions?

20/11/2011 | 16H50

Garder son public ou rajeunir l’audience, diffuser des valeurs sûres ou miser sur de nouveaux programmes… Partagée entre ses racines et ses ailes, la télé publique va de flops en succès.

Vraiment pas de chance pour France Télévisions lors de son intervention du 27 octobre, Nicolas Sarkozy, interrogé par Jean-Pierre Pernaut pour TF1 et Yves Calvi pour les chaînes publiques, a cité en direct les Borgia, une série télé produite par le groupe concurrent Canal+. "A cause de la crise mondiale, le Président n'a plus le temps ni l'envie de s'intéresser à France Télévisions", nous souffle un proche du chef de l'Etat. Pourtant, au début de son quinquennat, on présentait sa réforme de l'audiovisuel public comme l'une de ses priorités. On disait même de lui qu'il était devenu "le nouveau directeur des programmes" de France Télévisions...

Faites entrer les accusés

Si le président de la République semble se désintéresser – en apparence – de France Télévisions, les ennuis s’accumulent pourtant sur les épaules de Rémy Pflimlin qu’il a nommé à la tête des chaînes publiques en juillet 2010. L’année 2011 a bien mal commencé pour ce dernier, avec France 3 passée dès janvier sous la barre symbolique des 10 % d’audience. Plus d’un an après sa nomination, le président de France Télévisions pénètre dans une zone de turbulences, coincé entre la fin de l’état de grâce et les prémices de la campagne présidentielle. Il garde pourtant son calme : “Tout ne se fait pas en quelques mois”, nous confie-t-il.

Depuis septembre, du Point à Morandini sur son blog , la presse se déchaîne. Même les très consensuelles pages médias du Figaro s’y mettent. Une situation difficile à décrypter pour le grand public mais qui s’explique par le mécontentement de producteurs toujours prompts à s’épancher en off auprès des journalistes.

Ceux qui gueulent sont ceux qui ont le plus de contrats avec France Télévisions, c’est un scandale. Ils ne font pas autant de bordel à TF1 et M6. Mais comme c’est la télé publique, ils ont des relais à Matignon, à l’Elysée et au ministère de la Culture !”, s’énerve un haut cadre.

Une irritation que semble partager Rémy Pflimlin, homme de consensus, qui a décidé de répliquer dans Le Monde du 11 octobre en publiant une tribune intitulée “Assez des critiques contre France Télévisions !” Mais le sort s’acharne contre lui : dans ce billet, il fait une grossière erreur en se félicitant du succès de l’émission de Franz-Olivier Giesbert (2012, les grandes questions sur France 5) qui n’était pas encore à l’antenne… Autre couac fin octobre : pour sauver le soldat Pflimlin, la direction de la communication et le cabinet NPA Conseil ont l’idée de faire signer une seconde tribune à des producteurs “amis” (notamment Dominique Ambiel ou Laurence Bachman), mais à l’heure où nous écrivons, tous hésitaient encore à la signer !

J’irai dormir devant l’écran

Un vent de panique souffle sur France Télévisions à la suite des flops de l’été et des bides de la rentrée de France 2 : “Les effets d’une campagne médiatique injuste qui parlait principalement de deux programmes”, s’emporte Perrine Fontaine, directrice des programmes. Cet été, 5 touristes et L’Etoffe des champions, animée par Raymond Domenech, deux émissions d’ALP, la boîte de production de Koh-Lanta pour TF1, ont défrayé la chronique.

Elles ont été commandées dans la précipitation et leurs castings bâclés suivis de leurs mauvaises adaptations ont fini par les achever : “Comme si on avait demandé aux candidats d’Intervilles, ambiance course en sac, de faire Koh-Lanta”, persifle Marc-Olivier Fogiel. Début octobre, nouvel accident industriel : Un monde six jeunes présenté par Bruce Toussaint, ancien de Canal+, et produit par Renaud Le Van Kim, réalisateur chouchou de Nicolas Sarkozy, n’a réalisé que 4,3 % d’audience, plaçant France 2 loin derrière TF1, M6, France 3 et même Gulli ! Le samedi soir, les quatre numéros de Sing off, télé-crochet façon concours de chant a cappella, se sont révélés très décevants, entre 8,9 % et 12 %. Verdict du sociologue François Jost :

Le jury est gentil, les candidats chantent bien. On ne retrouve plus les remarques choc, on ne peut plus se moquer des candidats nuls. Ils ont repris un concept mais en enlevant tout ce qui plaît au public dans la téléréalité…”

C’est aussi l’échec de formats plus classiques comme l’émission culturelle du mercredi, Avant-premières d’Elizabeth Tchoungui, tombée le 28 septembre à 1,9 % d’audience en deuxième partie de soirée. Même Jean-Luc Delarue est à la peine avec sa Réunion de famille bien poussive qui “rassemble” entre 7,3 % et 11 % de téléspectateurs. Coût pour France 2 : 190 000 euros par émission. Il y a cinq ans, l’animateur-producteur facturait Ça se discute 220 000 euros l’unité pour une audience moyenne de 29,5 %.

Thé dansant ou café gourmand ?

Le péché fondateur de la nouvelle équipe est d’avoir proclamé dès le début sa volonté de rajeunir l’audience de France 2, qui a une moyenne d’âge de 55 ans. Mais en télévision, le concept de téléspectateur moyen ne veut rien dire, juge Eric Stemmelen, ancien directeur des programmes de France 2. Proclamer un rajeunissement, c’est perdre en gros la moitié du public. Comme si le maire de Paris décrétait qu’il allait changer la population de Paris !

Stemmelen, comme d’autres, regrette le temps du “virage éditorial” de Patrick de Carolis et de Patrice Duhamel, les deux chantres du culturel version opéra, théâtre façon ORTF et fictions historiques. France 2 préfère se rassurer en proclamant qu’elle conserve en moyenne 15 % d’audience depuis le début de l’année. Sauf que la chaîne oscille depuis août entre 13,5 et 14,1 %, soit un vrai décrochage par rapport aux autres chaînes historiques.

Nous souffrons d’effets mécaniques dus à la concurrence, se défend Emmanuelle Guilbart, directrice générale déléguée aux programmes de France Télévisions. Sur une semaine, nous affrontons pas moins de six soirées de séries américaines. Depuis l’an dernier, TF1 programme souvent en soirée trois épisodes à la suite, un vrai tunnel pour nous. Le carrefour traditionnel de deuxième partie de soirée a disparu.

Des chiffres et des lattes

Sur France 3, l’émission de Cyril Viguier, Vendredi sur un plateau, qui sent bon la naphtaline, plafonne à 6 % d’audience. Commentaire acide de Thierry Ardisson sur Europe 1 : “C’est un mec, il nous rabâche depuis dix ans qu’il veut faire de la télé, et il fait chier tout le monde, à commencer par le président de la République. Et le jour où il y arrive, il fait une émission qui franchement n’est pas super étonnante.” C’est sûr, son émission est devenue the place to be : Gérard Lenorman, Buzz Aldrin, Mireille Darc, Giscard d’Estaing, sans oublier Bernard Thévenet, vainqueur du tour de France en... 1975. Le 10 septembre, Laurent Ruquier, un brin moqueur, balance sur Twitter : “Delarue : 9 %, Elizabeth Tchoungui : 3 %, Cyril Viguier : 4 %, et On n’est pas couché : 20,9 %”.

Trop de choses ont été lancées en même temps et dans la précipitation, concède Emmanuelle Guilbart. Nous n’avons pas réussi à travailler en amont sur les programmes.

Même écho à France 2, où Perrine Fontaine souhaite “qu’on rêve de programmes au sein des chaînes, avec des antennes au service d’une ligne éditoriale”. Certains programmes n’ont pas été assez testés. C’est le cas d’Un monde six jeunes, visionné deux jours à peine avant sa mise à l’antenne !

Désunion de famille

Les échecs de la rentrée s’expliquent donc en partie par la désorganisation générale du groupe, ballotté entre différents managements depuis deux ans. “On ne sait jamais qui décide quoi”, s’exaspère un producteur. Emmanuelle Guilbart à la présidence ? Les directeurs des programmes au sein des chaînes ? En février dernier, Rémy Pflimlin a tranché : les décisions finales appartiennent aux chaînes. Mais quelques mois n’auront pas suffi pour reprendre des politiques de programmes chaîne par chaîne, et les horlogers de la télévision – les programmateurs des grilles – se sont souvent imposés dans la précipitation.

A France 2, la mort en septembre d’Alain Vautier, alors directeur de l’antenne de la chaîne, a ajouté à la confusion générale. “On constate aujourd’hui l’échec du président de la République concernant son choix de modifier le mode de nomination. Selon la loi de 2009, l’organisation de France Télévisions devait être transversale, et en 2010, il nomme Rémy Pflimlin qui décide de revoir le mode d’organisation en redonnant le pouvoir aux chaînes. En dix-huit mois, le président de la République se contredit”, analyse le producteur Nicolas Traube, proche de l’ancienne direction.

Rémy Pflimlin reconnaît que la situation “nécessite des réglages”. D’ici le premier trimestre 2012, près de cinq cents déménagements sont prévus… Fin octobre 2010, à la Maison des polytechniciens à Paris, le comité exécutif du groupe était réuni en séminaire pour un dernier casting général. Un an après, le bilan n’est pas brillant. La directrice de la communication Adeline Challon-Kemoun, issue de la société d’Anne Méaux, Image 7, est partie au bout de trois mois. Le directeur de France 2, Claude-Yves Robin, ancien directeur de France 4 et France 5, a été débarqué début octobre. Aujourd’hui, ils sont nombreux à railler son manque d’expérience. Un de ses anciens collègues le qualifie de “garçon sympathique” mais estime qu’il “n’avait pas la carrure pour devenir manager d’une grosse chaîne”.

Le même explique que Pierre Sled [sur le départ, ndlr], mari de Sophie Davant, et nous rabâche-t-on proche de l’Elysée, “y est pour 80 % dans les problèmes de France 3”. Robin et Sled sont qualifiés “d’erreurs de casting”. Pour remplacer le premier et chapeauter le second, Rémy Pflimlin a nommé Bertrand Mosca à la tête de France 2, et Thierry Langlois a été propulsé à France 3 comme directeur de l’antenne et des programmes. Tous deux sont vus comme des “sauveurs”. Mosca, l’homme de C’est mon choix, Plus belle la vie, On ne peut pas plaire à tout le monde sur France 3, prévoit de revenir aux fondamentaux de France 2 :

Il faut rassurer nos téléspectateurs de 50 ans et plus (…) Devons-nous aller sur des territoires que d’autres se sont appropriés ? Le téléspectateur préfère toujours l’original à la copie”, expliquait-il au Journal du dimanche le 9 octobre.

Vivement l’année prochaine

France 2 a quand même connu quelques succès. Début novembre, l’émission Rendez-vous en terre inconnue avec le beau Frédéric Michalak, présentée par Frédéric Lopez, a attiré près de 7,7 millions de téléspectateurs, soit une part d’audience de 27 %. Le documentaire Apocalypse Hitler a aussi fait un carton : “Le documentaire peut avoir un caractère événementiel et les téléspectateurs nous rejoignent. Ces émissions à 20 h 35 sont une folie qui marche !”, se réjouit Fabrice Puchault, directeur de l’unité documentaires de France 2. Sept autres docus en début de soirée sont prévus au cours de l’année, notamment un film exceptionnel sur la guerre d’Algérie coréalisé par l’historien Benjamin Stora.

La chaîne se prépare activement à proposer début 2013 un grand feuilleton en journée, histoire de réitérer l’exploit de Plus belle la vie et de fidéliser les téléspectateurs. Emmanuelle Guilbart souhaite multiplier les séries sur les antennes du groupe et cite en exemple la comédie familiale Fais pas ci, fais pas ça. D’où l’inquiétude des producteurs traditionnels de voir se réduire les commandes de fictions unitaires… Mais pour le groupe France Télévisions, il est vital de s’orienter vers les séries. Les chiffres sont criants de vérité : durant la saison 2007-2008, sur cent personnes qui regardaient une fiction sur France 2, cinquante-trois d’entre elles avaient plus de 60 ans et vingt avaient entre 50 et 59 ans. Ce public sera heureux de retrouver Patrick de Carolis sur France 3 pour un grand prime time culturel à partir de janvier. Autre projet : une émission de société inspirée de La Marche du siècle.

En attendant, Thierry Langlois prendra ses premières décisions fin novembre et rappelle qu’il existe “des clauses de sortie sur certains magazines” mais souligne que “les deuxièmes parties de soirée sont nouvelles et ont donc besoin de temps”. L’émission de Laurent Boyer, Midi en France, devrait continuer mais Thierry Langlois compte renégocier son montant (actuellement 100 000 euros l’unité). Sinon, France Télévisions compte multiplier les programmes régionaux. ViaStella, la chaîne corse créée à partir de France 3 Corse, est citée en exemple, comme les JT régionaux qui font régulièrement de bonnes audiences…

Faut pas trop rêver

C’est l’autre bonne nouvelle pour France Télévisions : ses tranches d’information comme ses programmes sportifs font bien mieux que résister dans un contexte difficile. Le 19/20 de France 3 a gagné 300 000 téléspectateurs depuis la rentrée, et les 13 heures et 20 heures de France 2 sont en moyenne à 20 % d’audience.

L’idée de la fin de la grand-messe du 20 heures est à la fois vraie et fausse, il n’existe pas un seul programme qui fédère autant. Il fait mieux que le foot !”, se félicite Thierry Thuillier, patron de l’information du groupe.

Mais il a l’œil rivé sur les audiences et reste inquiet : “C’est un petit miracle. Nous ne pouvons pas rester seul sur notre rocher”, explique celui qui attend de nouveaux programmes porteurs. “Les échecs d’audience récurrents des programmes inquiètent la rédaction”, confirme de son côté Loïc de la Mornais, président de la société des journalistes de France 2.

Plus beau le numérique

La surprise viendra peut-être des projets de Bruno Patino, directeur général délégué au développement numérique (et directeur de France 5), qui essaie de rattraper le retard abyssal du groupe public en la matière : “C’est comme changer d’avion en vol”, s’amuse-t-il. Dans le plus grand secret, l’ancien directeur du Monde interactif a en effet préparé durant des mois une nouvelle plate-forme d’information (son nom de code est PI pour 3,14) avec son équipe de geeks – “les meilleurs sur la place de Paris”, nous précise-t-il. La plate-forme est lancée depuis le 15 novembre sur les smartphones et le web, et une application viendra bientôt voir le jour pour les tablettes. Parmi les innovations, les utilisateurs géolocalisés auront accès automatiquement à l’actu de leur région et, surtout, la plate-forme proposera un flux d’actualité multisujet qui sera réactualisé en temps réel en fonction de l’audience et des événéments : “C’est une première mondiale, c’est du live tout le temps”, explique Bruno Patino.

Enfin, alors que la plate-forme de vidéo à la demande Pluzz décolle depuis la rentrée avec 28 millions de vidéos vues (contre 7 millions il y a un an), il prévoit, sur le modèle de Channel 4, de permettre aux plates-formes YouTube, Dailymotion et Google TV de diffuser gratuitement durant sept jours tous les programmes du groupe public. L’idée est d’affirmer la marque France Télévisions à l’heure où les usages des programmes vont exploser avec l’arrivée des téléviseurs connectés.

“Sur le marché mondial, nous devons aller sur les plates-formes numériques en étant groupés avec les producteurs”, souhaite Rémy Pflimlin.

Dommage que le groupe ne dispose que de 55 millions d’euros pour son développement numérique (pour 3 milliards de chiffre d’affaires). En Grande-Bretagne, près de 20 % du chiffre d’affaires de la BBC est lié à ses activités numériques et de diversification, via sa filiale commerciale BBC Worldwide, un de ses atouts majeurs. Les parlementaires et responsables politiques sont loin d’avoir compris les enjeux de la télévision publique du futur. Souhaitent-ils réellement qu’elle ait un avenir en France ?

Marc Endeweld

Marc Endeweld est l’auteur de France Télévisions (off the record) chez Flammarion.





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